Les guerres de frontières Quand les marchands d’armes profitent de la tragédie des réfugiés en Europe

, par  AKKERMAN Mark

Le Transnational Institute et Stop Wapenhandel (Campagne néerlandaise contre les ventes d’armes), ont publié un important nouveau rapport sur la manière dont les fabricants d’armes tirent profit de la sécurité des frontières. Border Wars montre comment des entreprises européennes de premier plan qui sont les plus grands vendeurs d’armes au Moyen Orient et en Afrique du Nord sont aussi les grands bénéficiaires des contrats de sécurisation des frontières.

La crise des réfugiés à laquelle fait face l’Europe a causé la consternation dans les allées du pouvoir, et enflammé le débat sur l’Europe dans les rues. Elle a exposé les failles fondamentales du projet européen dans son ensemble, car les gouvernements ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un partage, même limité, des réfugiés, et se sont au contraire critiqués les uns les autres. Les partis d’extrême droite ont accru leur popularité vers les communautés touchées par les politiques de sécurité, en dénonçant des boucs émissaires faciles comme responsables de la récession économique, au lieu du puissant secteur bancaire. Cela a été le cas particulièrement au Royaume Uni où les leaders de la campagne « Leave EU » (quittons l’Union Européenne) ont amplifié sans scrupules la peur des migrations de masse pour mobiliser avec succès en faveur du Brexit. Les réfugiés fuyant une violence et des difficultés terribles ont été pris dans un tir croisé : forcé de prendre des routes toujours plus dangereuses vers l’Europe et devant faire face à des attaques racistes dans les nations hôtes quand finalement ils y parvenaient.

Toutefois il est un groupe d’intérêt qui n’a fait que bénéficier de la crise des réfugiés, et en particulier des investissements de l’Union Européenne pour « sécuriser » ses frontières. Il s’agit des entreprises de matériels militaires et de sécurité qui procurent les équipements aux gardes-frontières, la technologie de surveillance pour contrôler les frontières et les infrastructures d’information pour surveiller les mouvements de populations.

Ce rapport donne un coup de projecteur sur ces profiteurs de la sécurité aux frontières, examine qui ils sont et quel services ils offrent, comment ils influencent les politiques européennes et comment ils en bénéficient, quels fonds ils reçoivent des contribuables. Il montre que loin d’être des bénéficiaires passifs des largesses européennes, ces compagnies encouragent activement la sécurisation croissante des frontières de l’Europe, avec une certaine volonté de proposer des technologies de plus en plus draconiennes pour y parvenir.

Il montre, comble de la perversité, que certains des bénéficiaires des contrats de sécurisation des frontières sont aussi les principaux vendeurs d’armes au Moyen Orient et en Afrique du Nord, alimentant les conflits de la région qui ont conduit les réfugiés à fuir leurs maisons. En d’autres termes, les compagnies qui contribuent à la crise des réfugiés sont aussi celles qui profitent maintenant de ses conséquences.
En outre, ils ont été encouragés par les Etats européens qui leurs ont accordé des licences d’exportation d’armes puis accordé des contrats de sécurité aux frontières pour faire face aux conséquences. Leurs actions se développent dans le cadre d’une réponse de plus en plus militarisée à la crise des réfugiés de la part de l’Union européenne.

Sous la bannière de la « lutte contre l’immigration clandestine », la Commission Européenne entend transformer son agence de sécurité aux frontières FRONTEX en une agence plus puissante de garde-côtes et gardes-frontières. Elle aurait un contrôle sur les activités de sécurité aux frontières des Etats membres et un rôle plus important de garde-frontière en tant que tel, y compris en achetant son propre équipement. Cette agence est renforcée par EUROSUR, un dispositif liant les membres les systèmes de contrôle, surveillance et sécurité des frontières des Etats membres de l’UE et d’Etats tiers.

La militarisation de la sécurité aux frontières est aussi démontrée par les objectifs militaires assignés à la « Force navale de l’Union Européenne – Opération méditerranéenne Sophia » (EUNAVFOR MED), de même que l’utilisation de militaires sur de nombreuses frontières, y compris celles de la Hongrie, de la Croatie, de la Macédoine et de la Slovénie. Les missions navales de l’OTAN en Méditerranée contribuent déjà activement à la sécurité des frontières de l’UE.

Entretemps des pays extérieurs à l’UE sont incités à jouer un rôle comme postes de garde avancés pour essayer d’empêcher les réfugiés d’atteindre les frontières de l’Union. L’accord récent sur les migrations avec la Turquie, qui a été sévèrement critiqué par les organisations de défense des droits de l’homme, nie au réfugié l’accès à L’Europe et a entrainé plus de violence à leur encontre.

Le rapport montre que :
 Le marché de la sécurité aux frontières explose. Estimé à 15 milliards d’Euros en 2015, on prévoit une hausse jusqu’à plus de 29 milliards annuels en 2022.
 Le commerce des armes, en particulier les ventes au Moyen Orient et en Afrique du Nord, que la plupart des refugiés ont fui, explose également. Les ventes globales d’armes au Moyen Orient ont augmentée de 61% entre les périodes 2006-10 et 2011-15. Entre 2005 et 2014, les Etats membres de l’UE ont accordé des licences d’exportations d’armes au Moyen Orient et en Afrique du Nord pour plus de 82 milliards d’Euros
 La réponse politique européenne à la crise des réfugiés, qui s’est focalisée sur le ciblage des trafiquants et le renforcement des frontières extérieures (y compris celles des pays extérieurs à l’Union Européenne) a conduit à une importante augmentation du budget qui bénéficie à l’industrie.
 Le total des financements de l’UE à travers ses principaux programmes est de 4,5 milliards d’Euros entre 2004 et 2020 ;
 Le budget de Frontex, sa principale agence de contrôle des frontières a augmenté de 3688% entre 2005 et 20162016 (de 6.3m€ à 238.7m€) ;
 Il a été demandé, comme condition d’adhésion, aux nouveaux membres de l’UE, de renforcer leurs frontières, créant des marchés supplémentaires pour les profits. Les équipements achetés ou améliorés avec l’argent du Fond pour les frontières extérieures comprennent 54 systèmes de surveillance des frontières, 22 347 unités d’équipement pour la surveillance des frontières et 212 881 unités d’équipements pour les contrôles ;
 Certains des permis de ventes d’armes au Moyen Orient et en Afrique du Nord sont également utilisés pour le contrôle des frontières ; par exemple le gouvernement néerlandais a accordé une licence d’exportation de radar et systèmes C3 à l’Egypte, malgré les rapports concernant les violations des droits de l’homme dans ce pays.
 L’industrie européenne de la sécurité est dominée par les principales sociétés d’armement, qui ont toutes créé ou développé des divisions de sécurité de même que des plus petites entreprises de sécurité ou de technologie de l’information. Le géant italien de l’armement Finmeccanica a identifié les “systèmes de contrôle et de sécurité aux frontières » comme un des principaux facteurs de développement en termes de commandes comme de profits.
 Parmi les principaux acteurs du complexe européen de la sécurité on compte les sociétés d’armement, Finmeccanica, Thales and Safran, ainsi que le géant technologique Indra. Finmeccanica et Airbus ont été les principaux bénéficiaires de contrats de l’UE pour renforcer les frontières. Airbus est aussi le numéro un pour les contrats de recherche sur la sécurité financé par l’UE.
 Finmeccanica, Thales and Airbus, importants acteurs du milieu de la sécurité sont aussi trois des quatre principaux vendeurs d’armes européens, tous très actifs sur le marché du Moyen Orient et d’Afrique du Nord. Leurs revenus totaux en 2015 se montent à 95 milliards d’euros.
 Les compagnies israéliennes dont les seules bénéficiaires non-européens de fonds pour la recherche (grâce à un accord de 1996 entre Israël et l’UE) et ils ont aussi joué un rôle dans le renforcement des frontières de Bulgarie et Hongrie et promu leur expertise basée sur le mur de séparation de Cisjordanie et la frontière de gaza avec l’Egypte. La firme israélienne BTec Electronic Security System a été sélectionnée par Frontex pour participer en avril 2014 a son atelier sur les « plateformes et capteurs de surveillance des frontières », vantant dans sa demande le fait que ses « technologies, solutions et produits sont installés sur la frontière israélo-palestinienne ».
 Les industries d’armes et de sécurité ont contribué à la configuration de la politique de sécurité aux frontières à travers le lobbying, les interactions régulières avec les institutions chargées des frontières de l’UE et en orientant la politique de recherche. L’Organisation Européenne de Sécurité (EOS), qui comprend Thales, Finmeccanica and Airbus, a été la plus active en lobbying sur la sécurité des frontières. Nombre de ses propositions, telles que la mise en place d’une agence transeuropéenne de sécurité aux frontières, ont débouchées sur des politiques – par exemple la transformation de Frontex en Agence de garde-côtes et garde-frontières (EBCG). De plus les journées biannuelles de l’industrie organisées par Frontex/EBCG et sa participation aux tables rondes sur la sécurité et aux foires spécialisées en armements et sécurité assurent une communication régulière et des affinités naturelles pour coopérer.
 Les industries de l’armement et de la sécurité a réussi à capter 316 millions d’euros de subvention pour la recherche en matière de sécurité, à définir les programmes, à les mener à bien et souvent à bénéficier des contrats subséquents pour les résultats. Depuis 2002 l’UE a financé 56 projets en matière de sécurité et contrôle aux frontières. Collectivement il est évident que l’on constate une convergence croissante entre des leaders politiques européens qui cherchent à militariser les frontières et les principaux contractants en matière de défense et de sécurité qui fournissent le service. Mais il ne s’agit pas seulement de conflits d’intérêt ou de profiteurs de la crise, il s’agit de la direction que prend l’Europe en ce moment critique. Il y a plus d’un demi-siècle, le président américain d’alors Eisenhower a souligné les dangers d’un complexe militaro-industriel dont le pouvoir pouvait « mettre en danger nos liberté et procédures démocratiques ». Aujourd’hui nous avons un complexe industriel encore plus puissant, militaro-sécuritaire usant des technologies qui visent au dedans et au dehors, qui sont d’ores et déjà dirigées contre certaines des personnes les plus vulnérables et désespérées de notre planète. Permette à ce complexe d’échapper à tout examen constitue une menace pour la démocratie et pour une Europe construite sur un idéal de coopération et de paix. Comme l’a dit Eisenhower "Sur ce long chemin de l’histoire qu’il reste à écrire… notre monde, toujours plus petit, doit éviter de devenir une redoutable communauté de crainte et de haine, et, au contraire, tendre à être une confédération fière dans la confiance et le respect mutuels ».

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