Les pistes de l’altermondialisme

, par  CANET Raphaël

Plus de 60 ans après le « grand narratif » du développement, la moitié de la population mondiale vit encore sous le seuil de la pauvreté. Par ailleurs, les crises de toutes sortes (économique et financière, alimentaire, écologique, sociale et politique, guerres…) jettent une ombre troublante sur l’avenir de l’humanité. En effet, à l’ère de l’Anthropocène , où l’impact environnemental de l’activité humaine est d’une ampleur telle qu’il génère une véritable révolution géologique, c’est l’ensemble de notre civilisation industrielle, urbaine et consumériste qui se trouve remise en cause. Comment les peuples du monde peuvent-ils s’organiser pour changer leur destin et concrétiser, autour d’alternatives réelles, ce que Riccardo Petrella appelle leur désir d’humanité ? Dans ce chapitre, nous cherchons à esquisser les contours du monde de l’après-développement. Un monde émancipé de l’utilitarisme, du productivisme, du globalisme et de l’asservissement de l’homme par la technique et le dogme de la croissance. Cet autre monde, nous allons le découvrir dans les revendications des mouvements sociaux, qui constituent un archipel de mondes alternatifs en train d’émerger autour de la justice fiscale, de la souveraineté alimentaire, du commerce équitable, de l’économie sociale et solidaire, du travail décent, de la démocratie participative, de la décroissance conviviale et de la sobriété heureuse, du « vivre bien ».

#Du développement au post-développement

Depuis son invention, la définition du développement international n’a cessé d’évoluer en fonction des intérêts des acteurs en présence et du contexte social. Nous pouvons lire cette évolution comme une relation en tension entre, d’une part, une vision universaliste, linéaire et occidentalo-centrée du développement et, d’autre part, une vision particulariste, multiforme et globalement diversifiée des voies possibles de développement

##Transformation et dislocation

À l’origine, la vision initiale du développement conçoit, dans la lignée de la pensée keynésienne, l’État comme un acteur central pour l’essor économique des pays. Plus tard, dans la foulée des indépendances et de la revendication d’un Nouvel ordre économique international (NOEI), le sous-développement est appréhendé comme un problème global qui doit être traité nationalement en tenant compte de la spécificité de chacun des pays concernés À partir des années 1980 cependant, nous assistons à un retournement. La priorité devient la stimulation de la croissance par l’approfondissement des échanges commerciaux au niveau mondial. L’État et sa propension à l’interventionnisme sont mis au banc des accusés. Selon cette approche, il faut s’aligner sur les préceptes néolibéraux (privatisation, libéralisation et déréglementation) prônés par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et le Forum économique mondial de Davos, dont les propositions sont rassemblées sous le terme générique du « Consensus de Washington ».

Plus tard, la dislocation de l’Union soviétique (1991) renforce l’imposition de ce modèle néolibéral en symbolisant la faillite du modèle alternatif, celui du socialisme. Mais en réalité, les nouvelles politiques conduisent à des coupures drastiques dans les dépenses sociales ainsi que dans la fonction publique. La structure productive des pays est fortement remaniée pour l’adapter aux besoins des marchés internationaux, souvent au détriment de la souveraineté alimentaire des populations. Pour plusieurs pays du Sud, on parle de la décennie perdue. Progressivement, l’imposition du modèle et ses conséquences désastreuses pour les pays du Sud plongent plusieurs penseurs du développement dans le pessimisme et la désillusion.

 !@L’Afrique riche et pauvre :

 ! Dans les années 2000, sur les dix pays qui affichaient la plus forte croissance dans le monde, six étaient en Afrique, mais cette performance n’a pas contribué de manière significative au nivellement des revenus ni à la redistribution des richesses. L’accélération de la croissance par habitant n’a pas créé de possibilités d’emploi suffisantes pour les jeunes, qui constituent la majorité des pauvres, parmi lesquels les plus démunis sont les jeunes femmes et les jeunes ruraux. Depuis 1981, le nombre de pauvres a été multiplié par deux et depuis la fin des années 80, le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour en Afrique sub-saharienne a augmenté de 70 millions pour atteindre 290 millions en 1998, constituant plus de 46% de la population totale (…) En plus d’être classée parmi les régions les plus pauvres du monde, l’Afrique vient également au deuxième rang mondial, après l’Amérique latine, en termes d’inégalités. En Afrique, 60,8% de la population est pauvre (<2 $ par jour) et détient 36,5% du revenu total, tandis que les riches [>(" 20 $ par jour") 20 $ par jour] représentent 4,8% de la population et se partagent 18,8% du revenu total.

 ! Banque africaine de développement, Notes d’information pour la Stratégie à long terme de la Banque, Note d’information 5 : « Inégalité des revenus en Afrique », 7 mars 2012.

##Le développement, au-delà du mot

Se définissant comme des partisans de l’après-développement, ou du post-développement, des chercheurs dénoncent le mythe du développement . Ils refusent l’emploi de ce terme qui ne fait que traduire une vision occidentale du monde construite autour de la notion de progrès et qui entend répartir les peuples du monde sur un continuum fortement orienté en valeurs s’étalant de l’archaïsme à la modernité. En fait, après la domination politique et économique exercée par les peuples occidentaux sur le reste de la planète, l’usage contemporain de la notion de développement vient achever une forme de domination culturelle.

 !@Le « discours » du développement :

 ! Le développement a contribué à ce que la vie sociale soit conçue comme un problème technique, une question exigeant des décisions et une gestion raisonnée qu’il convenait de confier à ces gens que sont les professionnels du développement, dont les connaissances spécialisées étaient supposées les qualifier pour cette tâche. Au lieu de voir dans le changement un processus lié à l’interprétation de l’histoire et des traditions culturelles de chaque société – comme nombre d’intellectuels dans diverses parties du tiers monde avaient essayé de le faire dans les années 20 et 30 (notamment Gandhi, le plus célèbre d’entre eux) –, ces professionnels ont cherché à mettre au point des mécanismes et des procédures pour faire entrer les sociétés dans un cadre préexistant qui reproduirait les structures et les fonctions de la modernité. À l’instar des apprentis sorciers, les professionnels du développement ont fait renaître le rêve de la raison qui, entre leurs mains, comme dans le passé, a produit une réalité troublante (…) Le développement tient de la téléologie dans la mesure où il suppose que les « autochtones » seront réformés tôt ou tard. En même temps, il reproduit à l’infini la séparation entre les réformateurs et les « réformés » en puissance en entretenant le postulat selon lequel le tiers monde est différent et inférieur, et qu’il fait montre d’une humanité limitée en comparaison avec les Européens évolués. Le développement repose sur ce constat et ce déni perpétuels de la différence, qui est une caractéristique de la discrimination.

 ! Arturo Escobar

Voir au-delà du développement, c’est donc sortir de ce prêt-à-penser qui consiste à projeter l’imaginaire occidental sur le reste du monde, refuser la vision linéaire de l’histoire, rejeter le dogme de la croissance et oublier les modèles uniques et les solutions globales . C’est finalement s’ouvrir à la différence et adopter une vision positive de la diversité. Cela suppose d’être à l’écoute de ceux qui refusent de se faire submerger par les valeurs occidentales, qui luttent contre l’hégémonie, qui poussent les murs pour s’aménager des espaces d’autonomie dans les interstices d’un système mondial en déliquescence.

##De quel côté aller ?

Pour Gilbert Rist, un des chercheurs associés au « post-développement », trois pistes de travail se présentent dans un contexte où le « développement » tel que conçu traditionnellement est dans l’impasse :

 « Redresser » le développement en « recyclant » la croissance vers l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres. C’est en gros la perspective des OMD, des agences internationales et souvent des ONG qui apparait sous le label du « développement durable ». S’ajoute à cela une proposition pour revenir aux principes keynésiens, notamment pour redresser la balance inéquitable des échanges internationaux et de permettre aux pauvres de pouvoir participer au marché international sur des bases plus stables.
 Miser sur les nouvelles articulations mises en place par des États et des mouvements du Sud, essentiellement en restaurant l’autonomie des sociétés marginalisées. Cela est expérimenté dans certains pays (la Bolivie par exemple). Il s’agit de procéder à une « déconnexion » du marché mondial, de miser sur les communautés, de procéder à de grandes réformes (notamment la réforme agraire). On n’en est pas rendus au point, affirme Rist, où tout cela présente un nouveau « paradigme » ou une nouvelle « théorie » du développement.
 Repenser tout cela en commençant par les concepts mêmes de science, pour sortir, d’une sorte de religion de la croyance. C’est un projet « théorique » admet Rist, qui estime pour autant que l’humanité doit « changer de chemin » .

##La décroissance

La perspective du post-développement est associée à l’idée de la « décroissance », qui consiste à préconiser un virage économique et social.

 ! Nous n’avons plus loin à espérer d’une croissance supplémentaire des économies occidentales, sinon une aggravation des inégalités sociales, en particulier sur le plan écologique. La thèse de la « croissance verte » est fallacieuse, il n’y a pas moyen d’augmenter la quantité de production (le PIB) en améliorant la quantité de façon à la rendre compatible avec les équilibres naturels (…) L’enjeu est de rééquilibrer les prétentions sur le plan symbolique, dégager une place pour que des populations marginalisées puissent se faire entendre. Dans l’approche de Gandhi, l’analyse conclut non seulement à une domination du Nord sur le Sud, mais à une domination de tous par une idéologie du pouvoir et de la force, à remplacer, dans une perspectives d’émancipation, par un souci du vivre-ensemble (le « dharma »), un ordre éthique différent.

 ! Bayon, Flipo, Schneider, La décroissance en dix questions, La Découverte, Paris, 2010

Selon Serge Latouche, un autre partisan de la décroissance et du post-développement, ce programme est tout à fait réalisable . Les jalons pourraient être :

 Une politique volontariste au niveau de l’énergie : fiscalité verte, infrastructures d’énergies renouvelables, la réduction des mégas projets, sortie progressive de l’automobile et des énergies fossiles, développement du transport collectif.
 Des monnaies locales et sans intérêt. Développement des diverses formes d’économie sociale et solidaire.
 La réduction du temps de travail salarié, couplée à un revenu minimum d’existence universel.
 Le développement de nouvelles approches dans les services publics (santé, éducation, aide aux personnes âgées, petite enfance), basées sur la participation, l’innovation, la décentralisation.

Bien qu’ascendante, la perspective du post-développement reste relativement marginale. Certains lui reprochent son côté « catastrophiste » et déterministe. Elle présente également une conception unilatérale, comme si tous les États et populations étaient condamnés d’avance à un seul chemin.

Quoiqu’il en soit, il semble évident qu’une réflexion en profondeur, et surtout une action, soit nécessaire pour confronter les nombreux défis du développement. Un « laboratoire » où cette dynamique prend forme est la Bolivie, où des expérimentations inédites sont en cours.

@Le laboratoire bolivien : quelles transformations sont nécessaires ? ! :

La première et la plus importante des transformations, c’est la décolonisation de l’État. Cela signifie que les nations et les identités culturelles indigènes qui ont toujours été marginalisées dans les structures de pouvoir, assurent aujourd’hui la conduite de l’organisation politique, culturelle et, progressivement, de l’organisation économique du pays, en lien avec d’autres secteurs non indigènes de la société. La deuxième composante procède via la nationalisation, l’extension des biens communs, de la richesse commune. Ce passage permet de redistribuer la richesse, d’améliorer les conditions de vie des plus humbles. Et la troisième composante, c’est la montée en puissance progressive des logiques communautaires pré- et post-capitalistes, à l’instar d’une logique du travail agraire qui est, ici, en connexion avec la nature. La volonté politique est de construire une société communautaire, pas seulement dans le champ politique, mais également dans la gestion de l’économie.

 ! Álvaro García Linera

#Les mobilisations pour un autre monde

Pendant que le développement et le post-développement font l’objet de débats et de recherches, c’est sur le terreau fertile des mobilisations, où la notion de solidarité face à l’adversité prend tout son sens, que se développent des voies alternatives. Dans cette pratique collective de lutte pour l’émancipation se construisent les bases de cet autre monde à faire advenir, au-delà du développement.

##La première vague (les années 1980)

Les peuples se sont opposés au néolibéralisme dès qu’ils ont pris conscience de ses conséquences et incidences sur leur vie quotidienne. Le Pérou, dès 1977, subit un programme d’ajustement structurel (PAS) qui lui impose de réduire de 33% le budget de l’État. Cela se traduit par la suppression des aides publiques sur le carburant, les transports et l’alimentation. Peu après, le pays est traversé de confrontations et de grèves, puis à par la loi martiale et l’arrestation des chefs syndicaux. En Tunisie en 1983, le FMI recommande au gouvernement de hausser les prix des céréales afin d’augmenter ses revenus et ainsi rembourser sa dette. Dans la rue, ce sont les « émeutes » dites de la faim (150 morts).

Des phénomènes similaires se passent en Jamaïque, en Bolivie, au Brésil, au Sénégal, en Côte d’Ivoire . Le désengagement social de l’État et son alignement sur des politiques économiques dictées par les bailleurs de fonds, conjugués à l’usage de son pouvoir de coercition contre sa propre population, suscitant partout révoltes et indignation.

##La deuxième vague (les années 1990)

Ces premières mobilisations en général demeurent fragmentées et isolées. Les registres d’action demeurent dans un cadre spatial national, voir local. Mais en 1994, l’insurrection zapatiste au Mexique change la donne. Pour la première fois, le néolibéralisme est directement dénoncé, une pensée critique synthétique s’élabore, un besoin de se rassembler par-delà les frontières prend forme. En France en 1995, la population se soulève contre un plan de réforme de la sécurité sociale et des retraites visant à hausser la côte du pays sur les marchés financiers mondiaux. Le mouvement social ravive la flamme de l’intellectuel, ce penseur engagé qui sort de sa tour d’ivoire pour mettre son savoir et sa capacité d’analyse au service de la lutte sociale. Au Québec à la même époque, les réseaux populaires s’organisent à l’appel de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) pour organiser une grande marche contre la pauvreté et la violence contre les femmes. En 1998 commencent les grandes manifestations contre la mondialisation néolibérale, notamment à Seattle (États-Unis), puis un peu partout en Europe. Dans les Amériques à l’initiative des mouvements sociaux du Québec et du Canada, une grande alliance hémisphérique est mise en place contre le projet de création d’une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), qui culmine avec le Sommet des Peuples de Québec (avril 2001) où 60 000 manifestants se retrouvent dans une ville transformée en citadelle assiégée, incarnant symboliquement la fracture entre les élites et les populations. Peu à peu, l’idée apparaît que la mondialisation telle que définie par le FMI, la Banque mondiale et l’Organisation internationale du commerce, n’est pas seule voie.

##Troisième vague (2001-2011)

Afin de sortir de cette logique de confrontation, les organisations de la société civile mondiale innovent. Invention du Sud, le Forum social mondial (FSM) émerge comme une nouvelle forme de mobilisation sociopolitique. Il ouvre un espace de dialogue et de convergence des acteurs sociaux globaux, régionaux et locaux, en contrepartie du Forum économique mondial, une sorte de club select de l’oligarchie mondiale qui se déroule chaque année à Davos, en Suisse. L’alternative au modèle dominant de la mondialisation néolibérale a désormais un visage.

Faisant la promotion de l’ouverture, de la concertation, du dialogue inclusif et de la participation, le FSM entend rompre avec les institutions classiques, fondées sur l’idée de centralisation du pouvoir, de rapports hiérarchisés, de légitimité représentative. Certaines propositions se concrétisent en Amérique latine, du fait d’un partenariat entre des gouvernements progressistes et des mouvements sociaux (Brésil, Bolivie, Venezuela, Équateur, Argentine…) . Par contre, même si les propositions altermondialistes progressent (notamment sur la question de la régulation financière), les gouvernements en Amérique du Nord et en Europe, se radicalisent dans une posture néoconservatrice, en justifiant le statu quo par un discours sécuritaire. Ce qui conduit à une nouvelle mutation des formes de mobilisation.

 !@Le Forum social mondial (FSM) :

 ! Le Forum social mondial est un espace de rencontre ouvert visant à approfondir la réflexion, le débat d’idées démocratique, la formulation de propositions, l’échange en toute liberté d’expériences, et l’articulation en vue d’actions efficaces, d’instances et de mouvements de la société civile qui s’opposent au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital et toute forme d’impérialisme, et qui s’emploient à bâtir une société planétaire axée sur l’être humain » (Charte de principes du FSM, article 1). En se définissant essentiellement comme un espace inclusif de débat orienté vers le changement social, le FSM entend stimuler la participation active de ceux qui y prennent part. Depuis sa création en 2001, chaque édition du FSM innove du point de vue de sa méthodologie afin de mettre en pratique son idéal d’horizontalité et de stimuler le changement social par la base. Ce n’est pas le FSM qui va changer le monde, mais plutôt ceux qui y participent.

 ! Chronologie

 ! -2001 : 1er FSM à Porto Alegre (Brésil)

 ! -2002 : 2ème FSM à Porto Alegre

 ! -2003 : 3ème FSM à Porto Alegre

 ! -2004 : 4ème FSM à Mumbai (Inde)

 ! -2005 : 5ème FSM à Porto Alegre

 ! -2006 : 6ème FSM polycentrique : Bamako (Mali), Caracas (Venezuela) et Karachi (Pakistan)

 ! -2007 : 7ème FSM à Nairobi (Kenya)

 ! -2009 : 8ème FSM à Belém (Brésil)

 ! -2011 : 9ème FSM à Dakar (Sénégal)

 ! -2013 : 10ème FSM à Tunis (Tunisie)

 ! En tout, plus d’un million de personnes ont participé au FSM.

##Quatrième vague (2011-maintenant)

Tout commence en Tunisie, en 2010, avec l’immolation du Mohamed Bouazizi, qui devient le symbole d’une génération condamnée à l’exclusion sociale, peu importe ses compétences ou ses diplômes . Le printemps arabe est né et un vent de révolte ébranle les autocraties de la région, emportant des dictateurs (Ben Ali, Moubarak, Kadhafi), déstabilisant des régimes et poussant de nombreux autres à concéder des réformes. Entre-temps, reprenant le mot d’ordre lancé par Stéphane Hessel , les Indignés s’installent sur la place Puerta del Sol comme les jeunes égyptiens qui occupent la place Tahrir au Caire.

L’initiative pour dénoncer les politiques d’austérité fait des émules et les mobilisations se répandent en Europe et au-delà. La dimension planétaire de cette contestation se concrétise le 15 octobre 2011, avec des manifestations dans plus de 950 villes dans 82 pays . En Amérique du Nord, les acteurs de ces mobilisations innovent, avec l’initiative Occupy Wall Street qui débute le 17 septembre 2011 à New York, pour ensuite se propager à plus de 100 villes américaines et canadiennes.

En 2012, de puissants mouvements sociaux continuent leur marche, notamment les « Carrés rouges » au Québec. Ce qui est nouveau, c’est l’horizon de la transformation sociale. Il ne s’agit plus d’interpeller un État et des gouvernements discrédités, mais bien de se réapproprier l’espace public pour pratiquer une nouvelle manière de vivre et expérimenter de nouveaux liens de solidarité.

#Propositions pour un autre développement

Peu à peu, un nouveau paysage social prend forme : un autre monde est non seulement possible et nécessaire, mais il est déjà en construction à travers une très grande multitude d’initiatives qui se déclinent à tous les niveaux, du local au global.

##Une masse de solutions

Ces propositions alternatives rejettent les modèles globaux et prônent une vision positive de la diversité qui mise sur l’autonomie créative de tous ceux et celles qui, au stade individuel ou collectif, se conçoivent comme les artisans d’un changement social salutaire pour l’humanité. En somme, comme le scandaient les participants au FSM de Porto Alegre en 2005, plutôt qu’une solution de masse, la mouvance altermondialiste propose une masse de solutions. Changer le monde, cela commence par se changer soi-même, en pensant et agissant différemment. Cela se poursuit dans son quartier, son école, sa communauté, sa ville, sa région, son pays, sa planète. Cela peut commencer en relayant un message, puis en posant un geste, en suscitant des discussions, en travaillant autrement, en votant avec conscience, en consommant différemment, en donnant et en recevant… mais dans tous les cas, cela se fait dans l’ouverture et la relation à l’autre, avec comme principe cardinal, le souci du bien commun. De ce foisonnement émergent de manière parcellaire de grands chantiers, qui sont autant de voies d’avenir pour reconstruire les sociétés au-delà du développement.

 !@Le Manifeste de Porto Alegre :

 ! -1 Annuler la dette publique des pays du sud

 ! -2 Taxer internationalement les transactions financières

 ! -3 Abolir les paradis fiscaux

 ! -4 Reconnaître le droit à l’emploi et à la protection sociale

 ! -5 Promouvoir le commerce équitable plutôt que le libre-échange

 ! -6 Garantir le droit à la souveraineté alimentaire par l’agriculture paysanne

 ! -7 Interdire le brevetage du vivant et la privatisation des biens communs (eau)

 ! -8 Lutter contre les discriminations de toutes sortes et reconnaître les droits des peuples indigènes

 ! -9 Promouvoir la sobriété énergétique et la maîtrise démocratique des ressources naturelles

 ! -10 Démanteler les bases militaires étrangères dans le monde

 ! -11 Garantir le droit à l’information et le droit d’informer

 ! -12 Démocratiser les organisations internationales

 ! -Signé à Porto Alegre, le 29 janvier 2005, par 19 intellectuels de renoms de la mouvance altermondialiste.

##Chantier 1 : Domestiquer la finance internationale

Contrôler ce secteur économique afin de le remettre en phase avec les besoins des sociétés, tel est le cheval de bataille de nombreuses organisations de la société civile, tel l’association ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne). Mise sur pied en 1998 pour remettre la finance au service des citoyens. ATTAC est aujourd’hui un réseau international, présent dans 40 pays et s’appuyant sur plus de mille groupes locaux. Sa principale proposition, inspirée par l’économiste James Tobin, consiste à instaurer une taxe sur l’ensemble des transactions financières afin, d’une part, de limiter l’activité spéculative et, d’autre part, de financer des politiques publiques visant le développement des pays du Sud ainsi que la lutte contre les changements climatiques. Une telle taxe mondiale à un taux de 0,05% permettrait de couvrir le coût de réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (180 milliards de dollars), d’aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques (170 milliards) et d’éponger les déficits budgétaires des pays développés (360 milliards) . L’idée de cette taxe est aujourd’hui reprise par plusieurs pays. Une autre idée vise à domestiquer la finance par l’abolition les paradis fiscaux, ces territoires où l’on ne paie pas d’impôt. Le nombre de ces paradis fiscaux a triplé ces trente dernières années, ce qui permet aux riches de mettre à l’abri du fisc entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars . Depuis 2009, plusieurs réseaux citoyens ont créé l’Indice d’opacité financière qui permet d’établir la liste des pays qui favorisent l’évasion fiscale. En tête du classement 2013, nous retrouvons la Suisse, le Luxembourg, Hong Kong, les Îles Caïmans, Singapour et les États-Unis . Les revendications semblent porter fruit puisque, depuis la crise de 2008, 120 pays se sont engagés à mettre fin au secret bancaire.

##Chantier 2 : démondialiser la planète

Aujourd’hui, près de 600 accords commerciaux en vigueur ou en cours de négociation limitent les capacités d’intervention des États au profit d’une économie « globalisée », c’est-à-dire des entreprises multinationales et des grandes institutions financières. De l’insurrection zapatiste au Chiapas mexicain (1994), aux manifestations contre l’OMC à Seattle en 1999, en passant par les mobilisations contre l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) en 1998, des actions ont obtenu des gains en démystifiant les effets du libre-échange et en ralliant à leur cause certains gouvernements. Ce fut le cas pour la Zone de libre-échange des Amérique (ZLEA) qui finalement a été bloquée par les populations et les États d’Amérique latine en 2005. Aujourd’hui encore, la contestation se poursuit, d’où la paralysie de l’OMC, toujours incapable d’imposer la « médecine » néolibérale à l’ensemble du monde.

La question de la libéralisation du secteur de l’agriculture est un sujet très sensible qui peut conduire à poser des gestes dramatiques, mais aussi à élaborer des propositions porteuses d’avenir. C’est pour dénoncer le sort tragique réservé aux agriculteurs de son pays, suite à l’ouverture de leur marché au riz américain, que le leader paysan sud-coréen, Lee Kyung Hae, s’est planté un poignard dans le cœur, durant la Conférence de l’OMC à Cancún. En Inde, près de 250 000 paysans se sont suicidés depuis 1997. C’est pour remédier à ces drames que le mouvement paysan international Via campesina, qui regroupe 150 organisations représentant 200 millions de paysans, revendique la souveraineté alimentaire des peuples, ce qui signifie que les paysans doivent produire avant tout pour se nourrir, eux-mêmes, leurs familles et leurs communautés. Sa proposition principale vise à stimuler l’agriculture locale et vivrière, plutôt que l’agro-industrie d’exportation.

C’est dans une perspective similaire qu’il faut aborder le courant du commerce équitable. Il se base sur une relation directe entre consommateurs conscientisés et responsables situés au Nord et petits producteurs au Sud rassemblés en coopératives de production. Cette nouvelle relation de solidarité fondée sur une juste rétribution des producteurs est possible grâce à la mise en place de réseaux de distribution (Oxfam, Artisans du monde, la Fair Trade Federation en Amérique du Nord ou encore le Network of European Worldshops) et de certification (World Fair Trade Organization-WFTO, Fair trade Labelling Organizations-FLO, Max Havelaar). Le commerce équitable implique plus de deux millions de producteurs répartis dans 75 pays, avec un chiffre d’affaire en forte progression récemment évalué entre 5,5 et 6 milliards d’euros (2012). Du côté des consommateurs, près de 80 millions de familles font régulièrement le choix équitable . Le chantier de la démondialisation de la planète vise à desserrer les liens tissés entre les pays par les accords commerciaux et financiers. Il repose sur une diversité de stratégie, allant de la contestation des accords négociés par les gouvernements. Dans tous les cas, au cœur de cette nouvelle manière de commercer, se trouve une préoccupation fondamentale : le bien-être des communautés et l’essor de l’économie locale.

##Chantier 3 : Socialiser l’économie

Repenser les échanges internationaux sur des bases solidaires constitue un chantier fondamental du post-développement envisagé par la mouvance altermondialiste. Cette approche se prolonge par une nouvelle façon de concevoir les rapports de production. C’est le chantier ouvert par les organismes d’économie sociale et solidaire (ESS). Alternative à la logique capitaliste centrée sur la maximisation du profit, la mobilité du capital, la croissance absolue et la loi de la concurrence, l’ESS est construite autour de cinq piliers :

 Une lucrativité maîtrisée.
 Une organisation interne démocratique (modèle coopératif).
 Une logique d’engagement social dans la communauté.
 Une orientation vers la recherche du « bien vivre ».
 Un ancrage territorial local .

En France, le secteur de l’ESS constitue 10 % du PIB et emploi 2,35 millions de salariés répartis dans plus de 200 000 entreprises sociales et solidaires . En Argentine, l’ESS, considérée comme une stratégie de sortie de crise suite à la faillite du pays en 2001, représente 10% du PIB et 22% de la production agricole . Au Canada, l’ESS fournit de l’emploi à plus de 100 000 personnes. Cette tendance visant la réinsertion des populations exclues se retrouve dans plusieurs autre pays d’Amérique latine et d’Afrique, où l’ESS apparaît aujourd’hui comme une solution afin de fournir un service minimum de protection sociale à près de 80% de la population, qui œuvrent dans les secteurs informel et rural et qui ne peuvent bénéficier des régimes publics ou privés. Si l’ESS semble aujourd’hui avoir le vent dans les voiles, elle n’est cependant pas à l’abri des critiques. Pour plusieurs, elle apparaît comme une forme de subsidiarité de l’action publique qui permet à l’État de se dégager de ses obligations vis-à-vis de ses administrés, ce qui alimente la vision néolibérale préconisant le recul de l’interventionnisme étatique dans le contexte de mondialisation .

##Chantier 4 : Rendre leur dignité aux travailleurs et aux travailleuses

L’un des moteurs de la mondialisation néolibérale réside dans la prolifération des investissements directs étrangers (IDE). Cette migration du capital rend compte de l’extension des ramifications des entreprises multinationales, soit par la délocalisation des usines, soit par l’achat de filiales à l’étranger. Ce qui pousse les entreprises à se mondialiser en répartissant leurs unités de production aux quatre coins du globe, c’est la recherche d’une plus grande compétitivité, et cela passe généralement par une équation simple : produire plus à moindre frais. Et dans ce calcul, le coût et la docilité de la main d’œuvre sont des facteurs de premier plan.

Ce qu’on appelle le dumping social, c’est cette concurrence déloyale entre pays qui conduit à une réduction généralisée des conditions de travail du fait de la délocalisation des emplois des pays à haut salaire et forte protection sociale, vers des pays où la main d’œuvre est moins bien payée et protégée. Sachant qu’entre 1980 et 2008, le volume des IDE a été multiplié par 40, on prend la mesure de l’impact du phénomène sur l’évolution des conditions de travail. Une stratégie de changement est donc nécessaire.

Dans cette vaste entreprise, la promotion du travail décent constitue un axe important. Viser un travail décent suppose de déployer, au niveau national mais aussi mondial, un ensemble de politiques qui doivent être complémentaires et simultanées, et qui s’inscrivent sous quatre priorités : la recherche du plein emploi, le développement de la protection sociale, la défense des droits fondamentaux au travail et le renforcement du dialogue social.

Le mouvement syndical international s’est investi avec la mouvance altermondialiste dans la lutte pour promouvoir le travail décent. La Confédération syndicale internationale (CSI) regroupe 180 millions de travailleurs affiliés à 315 organisations syndicales réparties dans 156 pays. En 2013, la CSI a organisé 274 actions de sensibilisation sur le thème du travail décent dans 64 pays . Ces actions sont déployées dans le cadre de coalitions incluant syndicats, associations de consommateurs, organismes de coopération international, etc.

C’est le cas de Clean Clothes Campaign ou Labour Behind the Label, des réseaux européens qui dénonce les conditions de travail aliénantes dans l’industrie du vêtement. Également, The Asia Floor Wage Alliance revendique un salaire décent pour les travailleurs de l’industrie textile en Asie.

Notons aussi Play Fair, une campagne mondiale visant à promouvoir les droits des travailleurs œuvrant à la préparation d’événements sportifs internationaux (coupe du monde de football, jeux olympiques…).

##Chantier 5 : démocratiser la démocratie

Au-delà de la sphère économique, l’univers du politique doit lui aussi être repensé dans la perspective du post-développement. La démocratie représentative est entrée en crise, rendant de plus en plus évidente la fracture entre gouvernants et gouvernés. Les différents gouvernements qui se succèdent appliquent les mêmes politiques d’austérité (rigueur budgétaire, réduction des dépenses publiques, libéralisation commerciale et financière). Pour contrer cette tendance à l’évitement du débat démocratique, de nombreuses initiatives visent à promouvoir la participation citoyenne.

Dans la ville de Porto Alegre, qui a été l’hôte du premier Forum social mondial, les citoyen-nes expérimentent le budget participatif, qui permet à la population de discuter et définir le budget et les politiques publiques municipales. Aujourd’hui, on évalue qu’il y a plus de 300 budgets participatifs dans le monde . Au-delà de cette pratique, apparaît la volonté de redonner aux gens un pouvoir dans le processus d’élaboration des règles de la vie commune dans la mise en œuvre des politiques publiques.

 !@Démocratie participative :

 ! Depuis 2003, les insurgés du Chiapas ont rassemblé les 38 municipalités qu’ils contrôlent en cinq caracoles. Ces territoires zapatistes autonomes du gouvernement mexicain depuis 1994 sont administrés par des Conseils de bon gouvernement. Les membres de ces conseils sont désignés par consensus par les assemblées communautaires des municipalités administrées et ne siègent que par rotation (pour des périodes de 10 jours). Ils ne reçoivent aucune rémunération pour ces tâches perçues comme un service à la communauté où la participation des femmes est fortement encouragée . Certes, par ce système de rotation des charges publiques, les Conseils peuvent perdre en efficacité, mais cela à l’avantage de permettre à tout le monde de prendre part à la gestion du bien commun et surtout d’apprendre par la pratique l’autogouvernement.

Cette logique d’auto-organisation se retrouve dans les mobilisations des indignés et de Occupy. Par le geste symbolique de se réapproprier l’espace public, de revendiquer La rue est à nous ! et d’occuper les parcs, les occupants signifiaient à la fois leur critique des processus de privatisation de la vie collective, mais surtout, leur volonté de se réapproprier la démocratie et de lutter contre la confiscation représentative. Sur les places occupées, que ce soit à New York, Madrid, Rio ou Montréal, les décisions collectives étaient prises en assemblée générale sur la place, les animateurs d’assemblée et les orateurs étaient tirés au sort parmi des volontaires, les charges au sein des campements étaient réparties selon une rotation systématique, les formes d’échange et de communication favorisaient l’écoute active et le refus de la dictature de l’urgence .

##Chantier 6 : pratiquer la sobriété heureuse

Pour la mouvance altermondialiste, lutter contre le réchauffement climatique exige une profonde réforme du système productiviste et pour le moment aucun gouvernement n’a le courage d’aborder de front ce problème. Certains pays adoptent même des positions carrément régressives (le Canada, par exemple). L’urgence d’agir, pourtant, apparaît de plus en plus clairement. Selon le rapporteur des Nations unies sur les droits des migrants, 250 millions de personnes d’ici 2050 pourraient devenir des « réfugiés climatiques » à cause des catastrophes environnementales .

Dans l’optique du post-développement, la croissance économique n’est pas la solution, mais le problème. Pour sortir du cycle infernal d’une croissance insoutenable, plusieurs proposent de mettre de l’avant la notion de décroissance conviviale , voire la « sobriété heureuse ». Vivre sobrement, par ailleurs, ne veut pas dire se priver, mais plutôt refuser la société de gaspillage fondée sur une consommation compulsive ou dit autrement, s’émanciper de la condition de consommateur faussement hédoniste pour redevenir des êtres humains socialisés et solidaires. En fait, la décroissance suppose de produire plus de liens (sociaux) et moins de biens (matériels), de ré encastrer l’économie dans des rapports sociaux locaux, de proximité. Cela est visible dans les nombreuses expériences alternatives autour des monnaies locales et des Systèmes d’échanges locaux, du réseau des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne en France, de l’agriculture soutenue par la communauté et du réseau des fermiers de famille au Québec, de l’agro-écologie, du tourisme vert de proximité, de la finance lente et des coopératives de toutes sortes.

 !@Du PIB au BNB :

 ! Plutôt que de mesurer le développement et la richesse de manière purement matérielle à l’aide du Produit intérieur brut (PIB), il importe d’adopter des indicateurs plus englobants, comme ceux élaborés par le Programme des Nations Unies pour le développement, soit l’Indice de développement humain (IDH). Plusieurs suggèrent d’aller encore plus loin, en suivant le modèle du Bhoutan qui, depuis 1972, fait la promotion du Bonheur national brut (BNB), qui mesure à la fois la croissance économique, la promotion de la culture nationale, la sauvegarde de l’environnement et une gouvernance responsable. Signe d’un changement de mentalité, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté en juillet 2011 une résolution appelant à introduire la notion de bonheur dans les indicateurs de développement.

##Chantier 7 : Vivre bien

Si le mouvement pour la décroissance trouve ses racines en Europe, les pays andins d’Amérique du Sud ont apporté leur pierre à l’édifice du post-développement à travers la notion du buen vivir (vivre bien). Ensemble de principes éthiques issus de la cosmovision amérindienne, le vivre bien (traduction de Sumak Kawsay en quechua) entend réconcilier le développement humain et celui de la nature. Il suggère de substituer à la logique actuelle de surexploitation des ressources à des fins d’accumulation individuelle illimitée de capital, le respect des droits de la Terre-Mère (Pachamama) dans un rapport d’équilibre et d’harmonie avec la nature. Il s’agit d’une rupture avec la conception occidentale du processus de civilisation qui tend à dissocier l’homme de la nature.

Cet héritage ancestral des peuples autochtones des Amériques a rejailli sur la scène internationale pour enrichir la réflexion sur le post-développement à la faveur de deux phénomènes conjoncturels. Le premier est l’arrivée au pouvoir de l’Aymara Evo Morales en Bolivie (2006), suivie très vite de celle de Rafael Correa en Équateur (2007). Ces deux représentants de la gauche latino-américaine ont fait de la reconnaissance des peuples autochtones et de la cause environnementale leur cheval de bataille. D’ailleurs, ces deux pays ont récemment inscrit le droit de vivre bien dans leur nouvelle constitution, garantissant à tous leurs citoyens le droit à l’eau et à l’alimentation, à un environnement sain, à la communication, à la culture, à l’éducation, à l’habitat, à la santé, au travail et à la sécurité sociale.

Pour sa part, l’Équateur articule la lutte pour la justice sociale, l’égalité et l’abolition des privilèges, avec la construction d’une société qui respecte la diversité et la nature. C’est cela qui motivait son Initiative Yasuni-ITT, lancée en 2007, et qui visait la préservation d’une région amazonienne riche en biodiversité et en ressources pétrolières, en gelant l’exploitation de ces ressources fossiles, sous réserve d’obtention d’un fonds de compensation de la part de la communauté internationale. Malheureusement, le projet a été abandonné devant le peu d’enthousiasme des pays développés à alimenter ce fonds de solidarité écologique.

Autrement, devant le blocage des négociations sur le renouvellement du protocole de Kyoto, la Bolivie a convoqué à Cochabamba en 2010 une conférence réunissant 35 000 participants, laquelle a débouché sur une déclaration sur les droits de la Pachamama. Le texte reconnaît la dette climatique des pays développés par rapport au reste du monde, fait la promotion de la souveraineté alimentaire, des droits des peuples autochtones et des réfugiés climatiques et propose la création d’un Tribunal international pour la justice climatique et environnementale. En somme, cette crise structurelle de notre modèle de développement débouche sur un nouveau projet social, l’écosocialisme qui entend substituer la qualité de vie à la quantité de biens accumulé comme étalon du bonheur.

##Chantier 8 : Prendre son temps

La vitesse et la mobilité ont été érigées au rang de vertu suprême de l’âge global. Ce n’est pas un hasard puisque ces deux phénomènes se nourrissent des innovations technologiques et du développement industriel et sont liés au moteur de la mondialisation : la productivité. Puisque le temps, c’est de l’argent, il ne faut pas le perdre, et surtout, toujours chercher à en gagner. Pourtant, que l’on soit riche ou pauvre, développé ou sous-développé, nous avons tous 24 heures dans une journée. Aussi, s’émanciper signifie avant tout changer le rapport à l’espace et au temps. C’est travailler moins pour vivre mieux. C’est se relocaliser en pratiquant la politique de l’escargot. Telle est l’approche prônée par le mouvement Slow. Se définissant comme un mouvement pour la sauvegarde et le droit au plaisir, ce mouvement est né en Italie en 1986, pour défendre la gastronomie contre les ravages du Fast-food. Aujourd’hui, Slow-food compte près de 100 000 membres répartis dans 132 pays.

Ce mouvement promeut l’éducation au goût, défend la biodiversité et soutient les économies locales, durables et de petite échelle. Il se consacre à la protection des aliments de qualité et des méthodes de culture et de transformation traditionnelles et équitables. Le

mouvement Slow Food estime que le seul type d’agriculture qui offre de vraies perspectives de développement est celui qui se base sur la sagesse des communautés locales en harmonie avec l’écosystème qui les entoure. Pour le mouvement, « manger est un acte agricole », et les consommateurs informés et conscients de l’impact de leurs choix sur les logiques de production alimentaire et sur la vie des producteurs deviennent des coproducteurs. Pour ces derniers, les aliments de qualité doivent être bons, propres et justes. Bons, capables de stimuler et de satisfaire les sens de ceux qui les consomment. Propres, donc produits sans porter atteinte aux ressources de la terre, aux écosystèmes et à l’environnement, et sans mettre en danger la santé de quiconque. Et finalement justes, c’est-à-dire respectueux de la justice sociale dans le sens de rétributions et des conditions de travail équitables à chaque étape du processus, de la production à la consommation. Le mouvement Slow Food a par ailleurs encouragé la croissance du mouvement Cittaslow (Villes lentes), qui prônent, notamment, la fermeture du centre-ville au trafic automobile un jour par semaine et la création d’espaces et d’occasions de contact entre producteurs et consommateurs .

 !@MANIFESTE DE L’ASSOCIATION SLOW-FOOD :

 ! La vitesse est devenue notre prison et nous sommes tous atteints du même virus : la « Fast Life » qui bouleverse nos habitudes, nous poursuit jusque dans nos foyers, nous conduisant à nous nourrir de « Fast-Food ».

 ! Toutefois, l’homo sapiens se doit de recouvrer la sagesse et se libérer du carcan de la vitesse s’il ne veut pas devenir une espèce en voie de disparition.

 ! Aussi contre la folie universelle de la « Fast-Life » prenons la défense du plaisir de vivre.

 ! Contre ceux, et ils sont légions, qui confondent efficacité et frénésie, nous proposons ce vaccin : jouir sûrement, lentement, pleinement, et sans excès des plaisirs des sens.

 ! Afin de lutter contre l’avilissement du « Fast-Food », commençons par la table avec le « Slow Food » et redécouvrons la richesse et les saveurs de la cuisine traditionnelle.

#Pour ne pas conclure

Contrairement à une image bien connue, le monde actuel n’est pas divisé entre, d’une part, un monde « développé » et, de l’autre, un monde « en développement ». En réalité, il n’y a qu’un seul monde, et il est mal développé . Sortir des ornières dans lesquelles nous ont engagé le capitalisme aujourd’hui financiarisé n’est pas une mince affaire. Mais l’urgence écologique et la quête lancinante de justice sociale ne nous laissent pas le choix. Il nous faut reconstruire notre vie collective, ses fondements éthiques et ses finalités. Il nous faut aussi nous redéfinir personnellement, parce que changer le monde commence par se changer soi-même.

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