L’organisation israélienne "B’Tselem" - qui s’occupe de documenter les violations commises par l’occupation en Cisjordanie et dans la bande de Gaza - a publié une déclaration annonçant son adoption d’un nouveau cadre théorique juridique pour décrire la situation politique "entre le fleuve et la mer." Avec cela, l’organisation retire sa rhétorique précédente selon laquelle « Israël est un État démocratique, mais qui administre un régime d’occupation dans les territoires occupés en 1967 », et se rend compte qu’elle est face à « un même système dans toutes les zones sous contrôle israélien, un système qui perpétue la domination des Juifs sur les Palestiniens », et elle l’appelle le régime d’« apartheid ».
Le manifeste de "B’Tselem" a relancé un débat intense sur la définition du régime israélien, débat qui se déroule depuis plusieurs années dans l’espace des "droits humains" - c’est-à-dire entre les institutions palestiniennes, internationales et israéliennes des droits humains, des organismes internationaux tels que le Conseil des droits humains des Nations Unies et l’Union européenne, et des réseaux de financement européens et américains, ainsi que de nombreux universitaires effectuant des recherches dans des domaines liés à la cause palestinienne.
Suite à la déclaration, le débat a tourné autour de questions telles que : Pourquoi « B’Tselem » a-t-elle attendu jusqu’à maintenant ? Pourquoi s’est-elle opposée à ce cadre de référence pendant des années et a-t-elle refusé de rejoindre les coalitions des droits humains qui œuvrent pour appuyer cette position ? Et pourquoi la position de « B’Tselem » reçoit-elle une large attention internationale alors que le monde ignore les positions des organisations palestiniennes ? Pourquoi ne disent-ils pas [ne dit-elle pas] qu’Israël est un « colonialisme de peuplement » ? Qu’est-ce qui différencie radicalement l’analyse de « B’Tselem » de celle des organisations palestiniennes, malgré la similitude du terme « apartheid » ?
Aussi importants qu’ils soient, ces débats souffrent d’une rotation en vase clos dans l’espace des « droits humains », comme s’il s’agissait d’un espace se suffisant à lui-même. Autrement dit, un espace dont on sort rarement pour examiner les fondements sur lesquels le débat repose dès l’origine – c’est-à-dire l’infrastructure qui régit effectivement les relations des institutions entre elles, celles qui créent une échelle de légitimité entre ces institutions et créent entre elles des disparités de puissance et d’influence sur la formulation du discours international sur les droits humains. Ce sont des disparités rarement professionnelles ou objectives.
Genève au niveau souterrain
La structure qui régit effectivement ce domaine est modelée par de nombreuses forces, à commencer par les fonds américains et européens qui jouent un rôle important dans le renforcement ou l’affaiblissement de ces institutions. Jusqu’aux ministères des Affaires étrangères occidentaux. Et bien sûr les énormes pressions israéliennes, qui sont incarnées par plusieurs leviers sionistes efficaces et pesants, qui ne manquent pas l’occasion d’utiliser des allégations mensongères de "soutien au terrorisme" et "d’antisémitisme".
La plupart des discussions évitent d’approfondir l’impact de ces acteurs sur le travail et les relations des institutions dans le monde des droits humains. Du fait du silence sur cette structure, ces acteurs se transforment en forces agissant "en coulisses" qui imposent leurs règles du jeu selon des intérêts et des visions politiques européennes et américaines injustes, imbues du sentiment de tutelle sur la région arabe, et identiques dans une large mesure aux politiques des gouvernements occidentaux avec leur charge coloniale. Lorsque sont masquées ces puissances financières et politiques, le champ international des droits humains apparaît comme pur et neutre, basé sur des pratiques et des déclarations à la rhétorique conservatrice, à la langue aseptisée, formulées par une diplomatie vigilante et qui - quelles que soient les vérités criantes devant elle – n’emprunte que les chemins précisément balisés par les dispositions des traités internationaux. La chose la plus importante est que les questions sont séparées, de sorte que discuter des problèmes de l’occupation de Gaza n’a pas de relation directe avec la Cisjordanie, et il est interdit de relier les Palestiniens de l’intérieur à ceux de la Cisjordanie. Il va sans dire que tous ces problèmes sont abordés sans lien avec leur racine historique : la Nakba et la fondation d’Israël.
Du point de vue des droits humains, les problèmes sont abordés de manière séparée, de sorte que discuter de l’occupation de Gaza n’a pas de relation directe avec la situation en Cisjordanie, et il est interdit de relier les problèmes des Palestiniens de l’intérieur à ceux de la Cisjordanie.
La mise en scène de l’espace des droits humains, qui le fait paraître neutre et dépourvu d’identités politiques, lui confère une caractéristique importante qui est rarement discutée malgré son exceptionnalisme : c’est l’un des rares domaines dans lesquels les associations palestiniennes se permettent de coopérer et de coordonner régulièrement avec les associations israéliennes, sans que cela affecte le statut national de ces associations, du point de vue palestinien. La raison de cette exception, qui n’est pas mise en application côté Palestinien dans d’autres domaines tels que la culture ou le bien-être social, masque de nombreux éléments qui doivent être examinés.
Ce « terrain neutre » impose aux associations actives de maintenir un professionnalisme juridique élevé qui donne l’illusion que la première et la dernière affiliation de ces institutions est une affiliation aux valeurs universelles des droits humains. Cela commence principalement par leur identification comme institutions « indépendantes » et « non gouvernementales ». Le caractère national, ethnique ou de classe est retiré de l’institution et de ceux qui y travaillent, et elles se défendent de tous motifs ou objectifs politiques ou d’un quelconque projet politique qui se cacheraient derrière le discours sur les droits humains. Ici, il y a une différence sérieuse entre les associations palestinienne et israélienne, et sous cette différence se trouvent de multiples couches de différences fondamentales silencieuses.
Nous et eux ... quelles sont les différences
L ’« indépendance » de toute association palestinienne signifie qu’elle n’est liée à aucun projet politique de libération. En effet, la montée des « organisations non gouvernementales » en Palestine est directement liée (quoique de manière complexe et indirecte) à la crise puis à l’effondrement du projet de libération nationale. C’est vrai, les associations palestiniennes ne sont pas liées au gouvernement de Ramallah ou de Gaza, mais ce n’est pas le bout. Au contraire, elles sont sous surveillance et sont poursuivies quant à leurs relations supposées avec toutes les factions palestiniennes que l’Occident définit comme des « terroristes » (c’est-à-dire toutes sauf le Fatah). Ces associations sont punies parce qu’elles emploient des prisonniers libérés, ou en raison des affiliations politiques des personnes en charge de leurs administrations, et à chaque déclaration (ou même pour une publication Facebook) faite, même si elles émanent de leurs employés subalternes.
La majorité écrasante des associations a été forcée de se détourner ainsi de l’appel au boycott d’Israël, et de s’abstenir même d’en parler de quelque manière que ce soit. En d’autres termes, ces organisations de défense des droits humains n’appartiennent pas au terrain politique palestinien qui aurait une vision et un projet. Elles ne sont pas liées à un quelconque courant et ne sont pas une arme juridique au service d’une stratégie nationale. Les droits humains, dans le travail des associations palestiniennes, sont une valeur suprême en soi, défendue par ces associations dans l’attente d’une délivrance politique qui ramènerait la lutte palestinienne sur le rail de la libération, ou d’un renversement qui ferait que le monde est prêt à faire passer Israël en jugement.
À l’origine et depuis le début, la colonisation sioniste de la Palestine était basée sur le principe raciste de « l’établissement de l’État juif ». Il a établi son entité politique sur les massacres, les expulsions et la démolition de centaines de villages et de villes en 1948. Un système juridique complexe a été mis en place pour voler les biens palestiniens avec des dizaines de justifications, à commencer par la loi sur les « biens des absents » (1950).
Ce n’est pas du tout le cas des organisations israéliennes de défense des droits humains. Il est vrai qu’elles ne sont pas gouvernementales, mais plutôt opposées au gouvernement. Mais Israël, avec son idéologie sioniste et ses courants socio-politiques, est bien plus grand que le gouvernement. Ces organisations appartiennent à un terrain socio-politique central, voire fondateur, dans le projet sioniste. Ces associations appartiennent au groupe ethnique ashkénaze européen qui se considère comme l’avant-garde fondatrice du projet colonial et de la création de l’État d’Israël en 1948.
Cette domination ashkénaze - ou "le premier Israël" comme on l’appelle - a acquis la majorité absolue des ressources pillées, au premier rang desquelles les terres et les propriétés des Palestiniens. Et à travers le parti "Mapai" de Ben-Gourion, au sein duquel a opéré la majorité de ce groupe, et qui a dirigé le gouvernement israélien dans les 30 premières années après la Nakba, ce groupe social a dominé les positions administratives et a dominé les médias, la justice, le monde universitaire et la politique. En plus de son nettoyage ethnique des Palestiniens et du vol de leurs biens, il a également affaibli les immigrants juifs des pays arabes et les a transformés en une main-d’œuvre exploitée souffrant de conditions sociales déplorables.
Ce groupe constitue toujours un courant politique fier de sa création de l’Etat juif, et croit qu’il est sur le point de perdre l’Etat démocratique éclairé et avancé qui bénéficie des valeurs européennes. Il voit que ce qui se passe depuis 1967, et en particulier après que le mouvement Likoud a pris le pouvoir en 1977, est une occupation qui draine les ressources d’Israël pour coloniser la Cisjordanie et Gaza, et que les pratiques d’occupation violent les valeurs démocratiques éclairées d’Israël. Et le plus important de tout : perpétuer cette occupation conduira à une supériorité démographique arabe entre le fleuve et la mer, et finalement à la perte de la majorité juive et à l’effondrement du projet d’Etat juif.
Il ne s’agit pas seulement du passé
Ces liens sociaux et politiques se poursuivent encore aujourd’hui. Les associations israéliennes des droits humains ont des relations dans le domaine de la politique, elles participent à la vie parlementaire, ont un instrument médiatique qui les représente et elles le considèrent comme leur propre maison, elles sont présentes et ont leur force dans le milieu universitaire, et jusqu’à il y a quelques années possédaient un certain pouvoir au sein de la Cour Suprême. Il a des associations qui dirigent un réseau de la société civile, comme le "New Israel Fund", qui a été créé par des juifs libéraux des États-Unis en 1979 (c’est-à-dire deux ans après que Mapai ait perdu le pouvoir au profit du Likud) dans le but d’injecter l’argent de dons aux associations qui représentent ce spectre politique. À ce jour, le fonds joue toujours un rôle clé dans le financement des associations et dans l’orientation de leur discours politique.
Tout cela fait partie d’un tableau beaucoup plus large, qui est celui du soutien des juifs sionistes américains - dont la plupart appartiennent au mouvement libéral - à ces associations à travers des groupes de pression influents (par exemple, JStreet) avec d’énormes sources de financement.
Réfuter l’approche de "B’Tselem" ne nécessiterait pas plus de quelques lignes, ou peut-être seulement un seul mot en 5 lettres : NAKBA ... mais c’est un mot complètement absent du dictionnaire des organisations israéliennes de défense des droits humains rattachées à la base sociale qui a fait la Nakba et qui s’en est enrichie.
B’Tselem, avec de nombreuses associations israéliennes des droits humains, fait partie de cette mouvance qui estime que la préservation des droits humains des Palestiniens n’est pas une valeur suprême en soi, mais plutôt un moyen de renforcer la position d’Israël et de préserver sa sécurité et son existence en tant qu’État juif « démocratique ». En d’autres termes, garantir les droits des Palestiniens sur les terres de 1967 et accorder des droits civils aux Palestiniens de l’intérieur est le moyen le plus sûr de préserver et de stabiliser le colonialisme de peuplement. De nombreuses organisations de défense des droits humains ont exprimé des positions similaires. Parmi ces positions, par exemple, se trouve l’opposition au renforcement du siège de la bande de Gaza, parce que « l’armée et les services de renseignement israéliens ont recommandé d’améliorer les conditions économiques de la population de Gaza afin d’empêcher l’escalade ». Ou en citant la recommandation du Shin Bet de s’opposer à l’interdiction d’un parti palestinien à l’intérieur, afin que ses cadres ne se radicalisent pas.
Un autre exemple est la position qui s’oppose aux exécutions extrajudiciaires menées par l’armée d’occupation, car elles contredisent « la morale d’une armée ». Et d’autres versions qui croient que l’occupation continue de la Cisjordanie et de la bande de Gaza conduit à la distorsion et au sabotage d’Israël en tant que projet démocratique éclairé dans la région.
La nouvelle position de B’Tselem doit donc être comprise dans ce cadre idéologique. Sa position ne change pas sa conviction à l’égard de l’essence raciste et coloniale d’Israël, mais intensifie plutôt une bataille interne israélienne contre le gouvernement Netanyahu, après que la situation interne en Israël ait atteint une impasse totale par rapport à ce courant, et il semble que il n’y a aucune possibilité de changement de gouvernement et de décision politique concernant l’occupation.
UNE MENTION EN CARACTERES GRAS
Dans le manifeste de B’Tselem, dans lequel elle a adopté la référence à « l’apartheid », nous trouvons dans les titres mis en évidence en gras une seule mention de sa définition d’Israël comme système d’apartheid. Cette mention a échappé à la plupart des rapports de la presse et des discussions. L’organisation s’y exprime sur ce qu’elle considère comme un « système d’apartheid » : « Ce système n’est pas né en un jour, ni ne s’est formé en un seul discours. Il est plutôt le résultat d’un processus graduel qui s’est établi et est devenu clair au fil du temps.
La colonisation sioniste de la Palestine était basée sur le principe raciste de "l’établissement de l’Etat juif". Et il a établi son entité politique sur les massacres, l’expulsion et la démolition de centaines de villages et de villes en 1948. Un système juridique complexe a été mis en place pour voler les biens palestiniens avec des dizaines de justifications, à commencer par la loi sur les "biens des absents" (1950), et toutes les autres lois de confiscation des terres adoptées au cours de la première décennie de la création de l’entité ... tout ce qui prouve que le régime raciste oppressif en Israël n’est pas apparu "avec le temps" ni qu’il a pris forme progressivement. De même, et cela est démontré par le régime de contrôle militaire qui a été appliqué depuis la Nakba, d’abord sur les Palestiniens de l’intérieur jusqu’au milieu des années soixante-dix du siècle dernier en pratique, lorsque les populations de Galilée, du Triangle et du Néguev étaient confinées dans des ghettos dont elles ne pouvaient sortir qu’avec des permis délivrés par l’armée. Et en 1967, le même régime militaire a été appliqué sur Jérusalem, la Cisjordanie et Gaza. Et cela qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui…
Ceci outre que la répression brutale de toute action politique et les politiques discriminatoires de naturalisation appliquées aux seuls juifs (la loi du « retour » des juifs et la loi de la « citoyenneté ») - deux facteurs fondamentaux dans la fondation d’Israël.
La discussion oublie le fait que les organisations juives dans le monde, et même dans les territoires occupés, fonctionnent depuis de nombreuses années sans recevoir le même soutien international, par exemple " Jewish Voice for Peace " ou " Zochrot ". Ce sont des organisations qui combattent ouvertement et courageusement le sionisme et documentent le nettoyage ethnique qui a eu lieu en 1948 et au-delà.
B’Tselem refuse de partager la définition palestinienne du régime israélien, et de considérer Israël comme un « colonialisme de peuplement qui pratique l’apartheid » comme le considèrent les associations palestiniennes. Une telle définition signifie que l’apartheid n’est pas un système existant basé sur des principes raciaux et établis en lui-même, mais plutôt un outil pour perpétuer l’existence coloniale et l’occupation.
Réfuter la position de "B’Tselem" ne nécessite pas plus de quelques lignes, ou peut-être seulement un mot de cinq lettres : NAKBA ... mais c’est un mot complètement absent du dictionnaire des organisations israéliennes de défense des droits humains. Celles-ci sont issues d’une base sociale qui est celle qui a créé la Nakba et s’en est enrichie. Nous pouvons trouver des conversations interminables sur les crimes les plus horribles commis…. après 1967 ... Cependant, revenir en arrière sera toujours interdit. Un seul mot ébranle les fondements de cette mouvance, tant au plan social qu’économique. La Nakba et le droit historique qui y est associé – le retour des réfugiés -, les crimes de nettoyage ethnique et le droit de tous les Palestiniens où qu’ils se trouvent d’avoir un seul destin politique - tous sont des facteurs qui détruisent les piliers sur lesquels repose cette mouvance.
La question c’est le sionisme, pas l’identité juive
La discussion sur « B’Tselem » révèle souvent la politique des identités engagées dans une course ethnique pour les droits humains ou les ressources académiques. Ainsi que des affirmations telles que le « judaïsme blanc » des institutions, qui les rendraient à la fois audibles et influentes. Ce débat néglige le fait que les organisations juives dans le monde et même dans les territoires occupés opèrent depuis de nombreuses années sans recevoir le même soutien international, entre autres « Jewish Voice for Peace » ou « Zochrot ». Ce sont des organisations qui luttent ouvertement et courageusement contre le sionisme et documentent le nettoyage ethnique qui a eu lieu en 1948 et au-delà.
Par conséquent, les bases sur lesquelles B’Tselem construit ses privilèges dans le domaine des droits humains, et qui sont marquées par l’inégalité, ne résultent pas de l’identité juive de ceux qui en profitent, et pas non plus du fait qu’ils se définissent comme Israéliens. L’explication est que B’tselem est attachée aux principes coloniaux qui caractérisent le sionisme et appartient à un mouvance en son sein. A un courant qui, même s’il est devenu marginal en Israël, bénéficie toujours d’un grand soutien des sionistes des États-Unis, où se concentre un large réseau de fonds, d’institutions et de groupes de pression soutenant Israël, et qui exerce une forte influence au sein du Parti Démocrate. (étant entendu que ce réseau représente les Juifs des États-Unis, dont plus de 75% soutiennent les Démocrates).
En plus de cela, plus d’un tiers des Juifs des États-Unis appartiennent au judaïsme réformé (il s’agit du tiers qui – du point de vue de classe - appartient aux couches les plus favorisées socialement). Cette fraction du judaïsme s’est heurtée, à plusieurs reprises, au mouvement religieux des colons en Israël, au sujet de l’identité laïque d’Israël. Par conséquent, des fonds massifs sont déversés des États-Unis pour soutenir les institutions israéliennes « laïques » et « de gauche » dans la lutte pour la défense d’une identité « éclairée » d’Israël. L’exemple le plus frappant est peut-être celui des millions de dollars envoyés par les Juifs américains lors des élections législatives en Israël dans le but de renverser le gouvernement Netanyahu.
Dans le domaine des droits humains aussi, reproduction de la relation de puissance coloniale et d’hégémonie entre Israéliens et Palestiniens. Mais elle se cache derrière des dehors brillants : D’une part, les institutions israéliennes avec une structure sociale et idéologique cohérente qui agissent pour ce qu’elles considèrent comme leur intérêt à travers les outils des droits humains, et rencontrent ce qui est acceptable dans la politique américaine et européenne, et, d’autre part, les institutions palestiniennes qui travaillent sans projet politique et portent en elles la même déchirure politique contre laquelle elles résistent.
La relation des organisations israéliennes de défense des droits humains à ce courant explique le refus d’une organisation telle que "B’Tselem" de s’engager dans la définition palestinienne du régime israélien, c’est à dire de considérer Israël comme "un colonialisme de peuplement pratiquant l’apartheid" comme l’affirment les organisations palestiniennes. C’est une définition qui signifie que l’apartheid n’est pas un système existant basé sur des principes raciaux érigés ex-nihilo, mais plutôt un outil pour perpétuer le colonialisme et l’occupation.
Aussi loin les organisations palestiniennes iront en concessions et en négligences, il est difficile d’imaginer qu’elles vont s’aligner sur de telles positions sionistes. Par conséquent, la relation de puissance coloniale elle-même, la relation d’hégémonie politique, qui existe entre Israéliens et Palestiniens dans toute la Palestine, se reproduit également dans le domaine des droits humains. Mais cela se cache dans les coulisses derrière un paravent ‘clean’ : d’une part, les institutions israéliennes avec une structure sociale et idéologique cohérente qui travaillent selon leurs intérêts à travers les outils des droits humains, et qui rencontrent ce qui est acceptable dans la politique américaine et européenne, et d’autre part des institutions palestiniennes qui fonctionnent sans projet politique d’aucune sorte et qui portent avec elles la rupture, la même déchirure politique contre laquelle elle résiste.
Ainsi, le discours de l’organisation israélienne - son analyse politique et juridique - devient plus largement entendu et hégémonique, non pas grâce à sa validité historique ou à sa justesse de ses analyses.
De peur que B’Tselem ne devienne notre échappatoire à une confrontation avec nous-mêmes
A la bourse des « droits humains », et à la lumière d’une offensive israélienne continue et violente contre les associations palestiniennes dans ce champ, les accusant d’antisémitisme et de soutien au terrorisme, les fonds américains et européens préfèrent investir dans des options moins dangereuses : vers ceux qui ne se déclarent pas antisionistes, vers ceux qui parlent aussi des intérêts d’Israël, et vers ceux qui rejettent complètement et intégralement BDS (contre lequel, par exemple, le "New Israel Fund" qui finance "B’Tselem" et d’autres organisations dont certaines focalisées sur les Palestiniens de 1948, ont lancé une attaque féroce pour tenter de le délégitimer dans le monde).
Les organisations israéliennes de défense des droits humains ne sont pas seulement conscientes de ce privilège, mais elles l’exploitent jusqu’à la dernière goutte, et ce de deux manières : Premièrement, en se démarquant des organisations palestiniennes, avec de qui en découle d’avantages matériels et de légitimité de l’impact. Deuxièmement, et c’est le plus important, ces associations ont imposé, dans plusieurs cas, des cadres juridiques et des discours sur les droits humains à des communautés palestiniennes vulnérables, lesquels cadres juridiques portent en eux des dimensions politiques dangereuses, de nature à fragmenter et à diviser le peuple palestinien et ses droits. Les associations israéliennes s’investissent dans ces projets avec un suprématisme écœurant et un mépris total des voix palestiniennes qui émanent du mouvement des droits humains et qui exigent d’elles d’abandonner de tels cadres. L’exemple récent peut-être le plus frappant est l’effort des juristes israéliens pour la reconnaissance internationale des Bédouins du Néguev en tant que « peuple indigène » basé sur des principes folkloriques et un « mode de vie » ancien.
Telles sont les organisations israéliennes des droits humains. Elles n’ont jamais menti sur leur manière de se présenter ni sur l’exposé de leurs principes. Il n’y a là pas lieu d’être choqué. La colère des militants palestiniens des droits humains suite au manifeste de B’Tselem est compréhensible - c’est la colère des gens qui travaillent dans un domaine, qu’ils supposent juste, objectif et légal, mais qui y sont confrontées à des préjugés et à de la discrimination. Mais la vérité est que le fait qu’ils soient choqués en la circonstance exprime une certaine confiance qui a été déçue, confiance "d’origine inconnue" dans les organisations israéliennes qui sont tout à fait claires quant à leurs affiliations et à leurs orientations, et dans un espace international qui n’a jamais réussi, même pas une seule fois, à réaliser un résultat tangible pour les Palestiniens.
La question est de notre côté à nous, elle est dans l’absence de projet national et de vision, dont le côté droits humains est censé ne former qu’un instrument, et rien de plus.
Ce n’est que dans le contexte d’une vision de libération inclusive que le travail des droits humains peut améliorer la situation de l’individu palestinien et préserver ses droits. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons comprendre la béance énorme, et qu’il est difficile de combler, entre nous et les organisations israéliennes.
• Traduit par Sion Assidon
• Publié dans Assafir al Arabi en arabe et en anglais