En appui aux jeunes militant.e.s chilien.e.s victimes de la répression judiciaire

, par  Angelo Montoni-Rios

La répression Judiciaire est devenue une nouvelle arme des États dans la lutte contre la contestation sociale. Les stratégies policières impliquant souvent des violences sans justification ne semblent pas suffisantes pour les puissants. La situation actuelle indique, comme l’exprime Francis Dupuis-Deri dans une postface à l’ouvrage de Victor Serge, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression [1], que nous assistons à une judiciarisation accrue du maintien de l’ordre qui s’inscrit dans une dynamique moderne de répression judiciaire.

Cette nouvelle arme de puissants prend un essor important souvent dans des pays considérés comme des démocraties libérales, où les violences policières sont censées être plus surveillées. Dans ce sens, le cas chilien est paradigmatique. Depuis la fin de la dictature, une « paix » sociale se construit sur la base de promesses de démocratie et liberté, tout en persécutant les groupes considérés radicaux et le peuple mapuche auxquels est appliquée la Loi de sécurité de l’État, un héritage ingrat de la Dictature. Des centaines de mapuche et de militants de la gauche révolutionnaire sont ainsi incarcérés sous l’accusation de perpétrer des actes terroristes.

La dernière affaire qui motive notre réaction implique la condamnation de 6 jeunes : Miguel Angel Varela à 15 ans de prison, Felipe Rios à 12 ans et Hugo Barraza, Constanza Gutierrez, Nicolas Valle et Rodrigo Araya à 10 ans de prison pour la mort dans un incendie d’un travailleur de 71 ans lors d’une manifestation de rue le 21 mai 2016 (jour de reddition de comptes du gouvernement). Ces peines lourdes pour une affaire très médiatisée posent des nombreux doutes et permettent d’affirmer, ce qui devient une habitude, l’existence d’un montage policier et judiciaire pour trouver des coupables.

Nous observons en effet, avec le retour de la contestation sociale de masse dans les années 2000, une sophistication de la répression juridique et une action de plus en plus coordonnée entre les polices et la justice que dévoile la faible indépendance de cette dernière. Nous sommes témoins pendant ces années du retour historique de montages policiers qui donnent lieu à de nombreuses condamnations en premières instances, ce qui implique l’enfermement pendant des années des jeunes militantes et militants avec des fausses preuves [2].

S’il est vrai que plusieurs dossiers sont démontés par des avocats engagés dans la défense de militants et militantes (on peut souligner le travail réalisé par la Defensoria Popular), ces jeunes passent pourtant de longues périodes d’enfermement en attendant la fin des procès. Les années dans lesquelles ils et elles devraient étudier et se former sont passés dans l’enfermement et même s’ils et elles seront relâchés, le temps perdu et la stigmatisation subie après de procès très médiatisés abîment sûrement leur avenir. Symbolique est l’« affaire bombes », où des militants anarchistes qui sont accusés d’une série d’attentats à la bombe à des banques et des institutions de forces de l’ordre, sont relâchés à la suite d’un procès qui dure plusieurs années et après que le montage policier est démasqué.

Néanmoins, ces accusations ne sont pas toujours simples à démonter et des jeunes continuent à être jugés et condamnés à de longues peines de prison. C’est la situation vécue par les six militants condamnés pour le cas du 21 mai. Le tragique événement qui cause la mort du surveillant municipale de 71 ans (travailleur non déclaré par la municipalité) se produit lors d’un incendie intentionnel d’un local de la chaîne de pharmacies Ahumada [3], le sinistre causé par un individu cagoulé qui lance une bombe Molotov à l’intérieur du local ne permet pas d’identifier le ou les individus participants de l’action. Ainsi les jeunes actuellement jugés sont différents des premiers suspects. Elle et ils ont été repérés et choisis sur une liste de personnes à surveiller, des jeunes fichés à cause de leurs activités militantes liée principalement aux luttes environnementales et opposés au plan IRSA (Initiative pour l’intégration de l’Infrastructure Régionale de l’Amérique du Sud) [4].

Dans un premier moment, les preuves utilisées sont des photos sans relation avec les jeunes accusés, se créent ainsi des liens inexistants qui ne permettent pas de prouver le moindre rapport des accusés avec les événements du 21 mai, même les traces d’ADN recueillis dans l’incendie ne correspondent à aucun des jeunes, les tests ADN sont tous négatifs [5].

L’unique élément que le fiscal (procureur) en charge de la procédure a pu utiliser correspond à une vidéo enregistrée par des policiers infiltrés dans le cadre d’une action des services de renseignement. En dehors du fait que cette vidéo n’arrive à rien déterminer, car elle a été enregistrée dans un lieu seulement proche de l’incendie et l’ensemble des personnes qui se retrouvent dans le lieu de faits sont cagoulés, cela pose des nombreux autres problèmes.

Le premier est l’introduction des rapports de services de renseignement comme preuves judiciaires, en effet la loi 19.974 qui crée les services de renseignement au Chili après la fin de la dictature militaire est claire : il est interdit d’incorporer des rapports des services de renseignements comme preuves dans un procès judiciaire, sauf si ils sont déclassifiés. Cela impliquerait libérer également les noms des fonctionnaires infiltrés ainsi qu’expliquer leurs actions, souvent illégales, s’ils sont appelés comme témoins.

Un second problème, le plus inquiétant, lié à l’intrusion des services de renseignement dans l’action judiciaire est la difficulté à déterminer qu’est-ce qu’une menace à la sécurité intérieure, quand est-ce qu’une organisation de dissidents politiques ou sociaux doit être surveillée et infiltrée avec les dangers que cela comporte. C’est le grand problème lorsque nous observons le cas des jeunes inculpés dans l’incendie du 21 mai. L’accusation sans preuves de ces jeunes, dont leur seule imputation est la participation active à des organisations politiques et leur implication dans des débats, journées d’études et de formation anticapitalistes, témoigne de la vulnérabilité dans laquelle nous nous retrouvons, dans laquelle chaque dissident qui pense à des formes alternatives d’organiser la société peut être victime de montages et incarcéré par des raisons politiques.

Dans ce contexte, nous ne pouvons qu’exiger l’arrêt de jugements politiques et de la criminalisation des militants, ainsi que la libération de jeunes victimes des ces condamnations injustes. Nous sollicitons également l’appui des organisations politiques, syndicales et d’étudiants à l’international afin de faire pression sur les politiques de répression judiciaire du gouvernement chilien.

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