La résistance d’une dizaine de migrants bangladais face aux pressions qu’ils subissent pour quitter la Tunisie et retourner au Bangladesh

, par  FTDES

Après un périple particulièrement long, éprouvant et marqué par de multiples violations de leurs droits, 11 migrants originaires du Bangladesh, dont 2 mineurs, refusent aujourd’hui l’Aide au Retour Volontaire et à la Réintégration que leur propose quotidiennement l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) en Tunisie. En l’espace de deux semaines, 53 migrants bangladais ont été renvoyés dans leur pays pour ce motif alors même qu’aucun traducteur ne leur a été affecté et qu’aucun d’entre eux ne parle ni ne comprend l’arabe, le français ou l’anglais. Un seul parmi les 64 Bangladais débarqués en Tunisie parle l’anglais, il connait les témoignages de chacun de ses compatriotes et a fait le choix de parler au nom de ceux qui ont pu résister à retourner dans leur pays.

Ariyan Ahmed [1] est âgé de 23 ans, il était étudiant en droit au Bangladesh et a quitté son pays dans l’espoir d’obtenir un avenir meilleur en Europe. Il porte avec lui les récits de plusieurs hommes dont une dizaine avec lui sont aujourd’hui temporairement placés dans un centre du Croissant Rouge Tunisien et refusent d’accepter l’aide au retour volontaire de l’OIM. Ariyan Ahmed a donné sa confiance au FTDES pour transmettre son message et celui de ses compatriotes, cet article en est un résumé.

Partis de Libye sur un bateau de fortune, 64 migrants originaires du Bangladesh ont été secourus par un navire de marchandise égyptien, le Maridive 601, le 31 mai dernier. Ils sont restés bloqués au large des côtes tunisiennes pendant 18 jours avec, à bord, d’autres migrants : 1 Soudanais, 9 Égyptiens et 1 Marocain. Depuis que les autorités tunisiennes ont accepté d’ouvrir le port de Zarzis pour laisser rentrer les 75 migrants sur le sol tunisien, le FTDES, comme d’autres ONG et militants des droits humains, tentent de suivre de près l’évolution de leur situation.

“In Libya, if you pay, there is a possibility to survive.”

Comme le rappelle Ariyan Ahmed, même si le temps passé en Libye diffère selon les situations, le discours sur les violations des droits humains de chacun des Bangladais passés par ce pays est le même. Plusieurs migrants portent encore les séquelles des violences physiques subies durant leur passage en Libye.

A titre d’exemple, Ariyan Ahmed est parti en avion de Dacca, la capitale bangladaise, pour Benghazi en Libye en passant par Dubaï et Alexandrie. A son arrivée à Benghazi, le jeune homme affirme avoir été enfermé pendant 6 mois. Il aurait ensuite été transféré par la police libyenne à Tripoli où il est resté enfermé entre 2 et 3 mois avec plus de 60 autres Bangladais dans une seule et même pièce. Depuis Tripoli, l’ensemble des Bangladais a été escorté à Zouara, à l’ouest de la capitale, sur la côte, où il leur avait été assuré qu’ils prendraient un avion pour l’Europe.

A Zouara, Ariyan Ahmed affirme qu’ils ont été enfermés entre 4 et 5 mois dans une nouvelle pièce exigüe hautement sécurisée par différents types d’agents de sécurité (police, armée, milices…). Au lieu d’être transférés à l’aéroport de Zouara comme cela leur avait été promis, ils ont tous été escortés à Abou Kammash, à quelques kilomètres de la frontière tunisienne, sur la côte. Selon Ariyan Ahmed, ils sont restés environ deux jours dans cette ville avant d’être forcés de monter dans le bateau de fortune qui les attendait. A l’issue de chacune de ces étapes, les escortes libyennes ont soutiré une somme d’argent supplémentaire à l’ensemble des 64 Bangladais. Ces derniers ont dû négocier par téléphone plusieurs fois avec leur famille respective afin de recevoir la rançon nécessaire à leur survie.

“We all refused it ! (…) But if you get in the boat, there is a possibility to live.”

Le jeune homme affirme qu’ils ont été obligés de monter dans le bateau de fortune sous la menace des escortes libyennes. Selon Ariyan Ahmed, bien que tous espéraient monter dans un avion et traverser la Méditerranée de « manière légale », le bateau apparaissait désormais comme leur unique chance de survivre. Les 64 Bangladais ont alors passé trois jours dépourvus de toute aide avant d’apercevoir le Maridive 601. L’absence de nourriture, d’eau et de protection contre le soleil a entrainé de graves complications sanitaires dés le début de leur périple. Entre autres, plus de la moitié d’entre eux ont souffert de déshydratation.

“We all tried to attract the attention of the boat”

Après que le capitaine du Maridive 601 ait aperçu les signaux de détresse des migrants bangladais, Ariyan Ahmed assure qu’il s’est passé deux jours avant que le transfert ne se fasse de leur bateau vers le navire de marchandise. Les migrants ont finalement sauté un par un pour ne pas faire échouer leur embarcation avant d’être rescapés par le capitaine du Maridive 601. Le médecin du navire les a pris en charge dans l’attente d’une aide humanitaire adaptée et d’une décision des autorités tunisiennes pour laisser le Maridive 601 accoster dans le port de Zarzis. Un médecin du Croissant Rouge Tunisien est venu sur le bateau après 15 jours environ, suivi de l’OIM. A leur arrivée sur le sol tunisien, Ariyan Ahmed affirme qu’ils ont tous été transférés directement dans le centre de formation du Croissant Rouge Tunisien dans la banlieue de Tunis, à l’exception des migrants soudanais, égyptien et marocain [2]. Le département Migrations du FTDES a aussitôt cherché à connaitre les conditions d’hébergement des migrants ainsi que leur état sanitaire et psychologique : des informations délibérément dissimulées par les autorités concernées.

“If it’s possible to stay here in Tunisia, I want to stay here. It is my choice but also the choice of all of us.”

Depuis qu’ils sont hébergés dans le centre du Croissant Rouge, les migrants rencontrés par le FTDES affirment recevoir des pressions quotidiennes pour accepter les procédures d’AVRR de l’OIM. Selon Ariyan Ahmed, le “mind set-up” à l’œuvre dans les entretiens individuels quotidiens a de véritables impacts sur la santé mentale des migrants. Surtout, le jeune homme insiste sur le cas des nombreux mineurs qui ont subis ces entretiens : ils sont plus vulnérables et davantage aptes à croire le discours sécuritaire des agents de l’OIM. Aussi, Ariyan Ahmed rappelle qu’il est obligé d’être présent à chacun de ces entretiens individuels pour traduire de l’anglais vers le bengali et vice-versa. Selon lui, il s’agit d’une discrimination basée sur le langage qui a largement aidé l’OIM à mettre en place une cinquantaine de procédures d’AVRR en l’espace de deux semaines.

“They don’t know English so they are not allowed to say what they really want !”

Le discours de l’OIM suit la logique sécuritaire et effraie les migrants au moment de l’entretien. Selon ses descriptions, le formulaire d’informations que chaque Bangladais a dû remplir pour l’OIM fait environ 4 pages et demande, outre les informations personnelles, les raisons du départ, les raisons du passage en Libye et les moyens utilisés pour arriver jusqu’en Tunisie ainsi qu’un projet de réinsertion pour le pays d’origine. Si la personne accepte l’AVRR, l’OIM donne 50$ d’argent de poche pour le voyage et 1300$ pour soutenir le projet de réinsertion. Selon Ariyan Ahmed, le discours de l’OIM met l’accent sur la responsabilité de chaque migrant, qu’il accepte ou qu’il refuse l’AVRR. D’une part, le jeune homme confirme que la procédure d’AVRR ne garantit aucun suivi après que la personne ait été renvoyée dans son pays : sa protection n’est dès lors plus assurée. D’autre part, il rappelle que ceux qui choisissent de refuser l’AVRR doivent subir le discours moralisateur et culpabilisant particulièrement lourd de l’OIM.

“Everyone is negotiating with IOM”

Selon Ariyan Ahmed, aucun des Bangladais avec lesquels il est arrivé en Tunisie ne souhaitait rentrer volontairement dans son pays d’origine. Le FTDES a rencontré la moitié des 11 Bangladais qui refusent de remplir ce formulaire dont deux d’entre eux sont mineurs. Leur volonté est de rester en Tunisie et/ou d’y demander l’asile. Deux d’entre eux souffrent de complications sanitaires et nécessitent une prise en charge médicale spécifique et non pas seulement des soins de première nécessité comme c’est le cas dans le centre du Croissant Rouge actuellement. Depuis leur arrivée sur le territoire tunisien, aucun d’entre eux n’a été transféré dans un hôpital. De plus, les migrants bangladais ne peuvent sortir du centre que quelques dizaines de minutes par jour et ne disposent toujours pas de la traduction nécessaire pour communiquer librement avec les personnes en charge de leur protection.

Ci-dessous une vidéo des propos recueillis par une délégation du FTDES le 25 juin 2019 dans la banlieue de Tunis, une semaine après que le Maridive 601 ait accosté dans le port de Zarzis :

Voir en ligne : Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux

[1Pour des raisons de sécurité, le FTDES a choisi de modifier son nom, avec son accord.

[2Le FTDES confirme que le mineur soudanais a bénéficié de la protection de l’UNHCR à Médenine. Le sort des autres migrants demeure néanmoins inconnu.

Navigation

Suivre Intercoll.net

Réseaux sociaux - Flux RSS