Sentence

Le 4 et 5 janvier, le Tribunal Permanent des Peuples (TPP) a tenu une séance au Centre International de Culture Populaire à Paris pour traiter des violations des droits des personnes migrantes et réfugiées.

Nous publions dans la séquence quelques éléments de la sentence préparée par le Jury et lue lors du Festival Moussem le 07 janvier. L’intégralité de la sentence ainsi que le vidéo de la lecture lors du festival Moussem est disponible à la fin de l’article.

Lecture de la sentence au Festival Moussem le 07 janvier

INTRODUCTION GENERALE

La réalité de la migration et plus spécifiquement à partir des premières années du XXI siècle concerne l’Union Européenne et ses relations avec les pays de la Méditerranée et d’Afrique. Ses stratégies étatiques de suspension, voire de négation des droits fondamentaux au nom d’une hiérarchie inversée des valeurs en faveur d’objectifs de sécurité et de défense, de priorités économiques et culturelles, révèlent la place centrale du conflit entre un droit international proclamé et la répression planifiée des garanties de protection des êtres humains qui devraient en être les sujets.

Les faits, systématiques et documentés par les preuves plus évidentes, font du scénario de migration :

  • l’expression tragique d’une politique de mort et de violations massives et répétées du droit à vivre dignement ;
  • le modèle de la fermeture des États et de leurs organismes interétatiques à une interprétation extensive du droit existant, conscient des nouvelles réalités d’un monde qui a globalisé les défis et de ses conséquences sur les peuples, dont les guerres économiques et écologiques, inséparables des conflits armés ;
  • l’acceptation et la promotion de politiques fondées sur la dérogation aux règles inviolables du respect des droits fondamentaux des individus et des collectivités, entraîne une crise profonde des démocraties.

MOTIVATION

Le respect du principe millénaire d’accueil de l’étranger revêt une importance capitale dans le contexte actuel où le capitalisme libéral militarisé domine le monde, et dont le Migrant ou le Réfugié est une composante. Ceux qui se pressent aux portes de l’Europe fuient les pays où la guerre fait rage comme la Syrie, l’Irak, le Yémen, le Soudan du Sud, la Somalie, l’Afghanistan ou l’enfer du chaos libyen, ou des pays aux prises avec l’extrémisme religieux.

D ’autres, en Afrique, fuient les conséquences des politiques ultralibérales imposées par les organisations financières et certains accords de partenariat inégaux avec l’Union Européenne ou plusieurs États membres de l’Union Européenne, ainsi des Accords de libre-échange économique (APE) acceptés par certains pays, dont le Sénégal, qui visent à rendre réciproques les avantages consentis aux produits africains sur le marché européen, où ils entrent librement. Cela entraîne la destruction de filières industrielles locales ayant du mal à émerger ainsi que de concurrencer de manière déloyale des produits agricoles (tomates, carottes, lait frais …).

Des accords biaisés liant aide au développement, sécurité et migration, le G5 Sahel en est une illustration, mais l’accord le plus emblématique est celui passé entre le Niger et l’Union Européenne. Selon la déclaration de l’Union Européenne du 24 avril 2017, le Niger recevra 108 millions d’euros pour faire de la ville d’Agadez la nouvelle frontière de l’Union Européenne, en Afrique de l’Ouest. Cet accord viole le droit à la libre circulation des biens et des personnes consacré non seulement par le Protocole sur la libre circulation, le droit de résidence et d’établissement (article 1) de la CEDEAO, et celui relatif à la libre circulation des personnes de l’Union africaine concrétisé par l’adoption d’un passeport africain, mais aussi par la DUDH et le protocole 4 de la CEDH ainsi que mentionné dans l’acte d’accusation. Pour protéger l’espace Schengen, l’Union Européenne et ses pays membres empêchent ainsi les Africains de circuler librement sur leur propre continent ce qui n’est pas sans interroger le droit à la souveraineté repris dans l’article un commun aux deux Pactes internationaux de 1966.

Ces accords mêlant sécurité, développement et migration constituent un chantage à l’égard de certains pays africains, une violation de leur droit à la souveraineté et pénalisent les populations les plus vulnérables dépendant de l’aide au développement, ce qu’a souligné non seulement la représentante de l‘association Récréative et culturelle italienne mais aussi la députée européenne, Marie Christine Vergiat, qui a indiqué que 90% des fonds fiduciaires alloués par l’Union Européenne pour endiguer les flux migratoires à partir du sol africain proviennent du budget naguère réservé aux projets de développement, notamment en milieu rural.

RESTRICTIONS DRAMATIQUES DE LA CIRCULATION DES PERSONNES, TANT À L’EXTERIEUR QU’À L’INTERIEUR DES FRONTIÈRES DE L’UNION EUROPÉENNE

Restrictions

Comme l’a dit Monique Chemillier-Gendrau, il faut observer la dégradation de la situation d’accueil faite aux migrants au cours des vingt dernières années. L’ampleur de la violation de leurs droits à une vie digne dans tous ses aspects n’a fait qu’augmenter.

L’ensemble de ces droits est pourtant reconnu par les multiples articles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (art. 10, 13, 14, 15, 22, 23, 25, 26) et par l’ensemble des conventions internationales ratifiées par tous les États membres de l’Union.

Ce combat pour le respect des droits des migrants est essentiellement un combat pour la démocratie fragilisée par des délégations non contrôlées par les parlements vers des partenaires privés chargés d’exécuter les politiques répressives à l’égard des migrants.

De manière générale, le tribunal constate que les frontières de l’Union, considérées comme lieu de passage, d’entrée et de sortie, se transforment en interdits de passage du fait de contrôles sans cesse renforcés. Des témoins français, italiens et espagnols ont longuement exposé les cas de La Roya en France, Vintimille – Menton pour l’Italie et Ceuta et Melilla entre le Maroc et l’Espagne. Tous ont souligné que le principal motif de contrôle était le « délit de faciès » et les signes de pauvreté.
Les politiques migratoires actuelles, officielles ou non, sont clairement attentatoires aux droits de tous les travailleurs, nationaux ou migrants. Elles se conforment dangereusement aux thèses d’extrême-droite européenne qui voient en l’étranger une menace pour les emplois des nationaux.

Conséquences

Les différents témoignages recueillis ont mis en évidence des pratiques criminelles, à l’origine de nombreuses violations des droits des Migrants. Il s’agit de violations de droits, affectant des dizaines de milliers de personnes.

Ces pratiques, surtout, concernent des multitudes de victimes, qui trouvent la mort dans des conditions atroces ou qui subissent des situations où sont écrasés les principes de l’intégrité physique et de la dignité humaine. C’est une véritable nécro-politique parce que, au-delà de certaines opérations de sauvetage, l’option de base est celle de laisser mourir, refusant le devoir élémentaire de protection aux personnes en détresse, abandonnant les survivants à des conditions infrahumaines.
Pendant les sessions de travail, à travers des dizaines de témoins, sont arrivés soit le silence des nouveaux « desaparecidos » soit la clameur des survivants.

Les membres de l’Union Européenne mènent des politiques migratoires hétérogènes, les unes respectables, les autres intolérables. Mais ils n’en demeurent pas moins solidaires –notamment au sein du Conseil européen – avec l’essentiel des politiques de l’Union.

VIOLATIONS DES DROITS PERPETREES

La sentence prononcée par le jury reprend les rapports et témoignages mises à la disposition du Jury, des avocats de l’accusation et de la défense et reprend à partir de l’acte d’accusation et de la plaidoirie de la défense un exposé de la situation des violations retenues.

Ces violations ont été énumérées de la forme suivante :

  • Violations du droit de quitter son propre pays ;

Fermeture et contrôle des frontières, non-délivrance de visas et autres mécanismes juridiques mis en place par les États membres de l’UE sont les entraves majeures à la liberté de quitter son pays, que ce soit pour fuir la misère ou les persécutions.

Sara Prestianni représentant l’Association Récréative et Culturelle Italienne
  • Violations du principe de non refoulement ;

Ce principe protecteur interdisant qu’une personne puisse être renvoyé dans un pays où sa vie et sa liberté sont en danger est bafoué massivement, comme l’ont exposé les témoignages sur les accords passés par l’UE avec la Turquie, l’Italie avec la Libye ou encore les expulsions expéditive généralisée à Mayotte ou dans les zones d’attentes en métropole.

  • Violations de l’obligation de porter secours en mer ;

Les plus de 30 000 morts en mer Méditerranée depuis le début des années 2000 sont la conséquence directe de la fermeture des frontières méridionales de l’UE. Les travaux de Charles Heller ainsi que les témoignages des naufragés rescapés entendus par le Tribunal ont montré le non-respect de cette obligation de porter secours.

  • Violations du droit d’asile ;

L’imposition généralisée du visa, la mise en place de centres de triages des personnes migrantes aux frontières grecques et italiennes (hotspot), le rétablissement des contrôles aux frontières et la multiplication de notions telles que « l’asile interne », « pays tiers sûr », « pays de premier asile » etc. accompagnée d’une suspicion généralisée envers les demandeurs d’asile sont autant d’obstacles à la reconnaissance du statut.

  • Violations de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants ;

Trois éléments essentiels ressortent des témoignages entendus à la barre du Tribunal : les conditions de non-accueil (campements, bidonvilles, violences policières), les conditions d’enfermement et de refoulement abusives et contraires à la dignité, et la traite des êtres humains encouragée par la grande vulnérabilité qu’entraîne la clandestinité.

Des représentantes de l’association des Amis du bus des femmes témoignent sur la traite de femmes migrantes à des fins d’exploitation sexuelle
  • Violations du droit à la liberté et à la sûreté ;

Le droit de ne pas être détenu arbitrairement est violé par le maintien en rétention et l’enfermement sans base juridique des personnes interpellées aux frontières intérieures de l’espace Schengen (gare de Menton, col de Montgenèvre notamment), y compris les mineurs.

  • Violations de l’interdiction des expulsions collectives ;

La pratique des « charters » induit une série de risques non négligeables de violation des droits fondamentaux (maintien sous contrôle des personnes renvoyées, arrestations larges avec les risques de bavures que cela entraine, aucun examen individualisé de la situation des personnes).

  • Violations des droits des enfants ;

Enfermement en zones d’attente, refoulement aux frontières terrestres et refus de prise en charge opposés à des mineurs laissés à la rue sont autant de violations mises en évidence par le Tribunal de la protection spécifique dont les enfants devraient bénéficier au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Dian Malal témoigne sur les violations des droits des mineurs non accompagnés
  • Violations des droits fondamentaux des Migrants résultant de la politique d’externalisation ;

Cette politique qui consiste à repousser toujours plus loin les frontières européennes, notamment en Afrique au mépris de la souveraineté des peuples africains s’accélèrent, grâce aux financements du Fond Européen au Développement, détourné au service du contrôle des flux migratoires en direction de l’Europe.

  • Violation à la non-discrimination et à l’égalité ;

Au droit de quitter son pays devrait correspondre le droit d’aller dans un autre pays, ou le devoir d’accueil, mais le Tribunal constate à la suite des différents témoignages que ce droit est acquis pour certaines catégories de personnes et dénié à d’autres. La sélection discriminatoire mise en place en matière d’immigration, sélection selon le pays d’origine ou le niveau d’étude, est une violation des principes de libre-circulation et de non-discrimination.

  • Violation des droits économiques, sociaux et culturels perpétrée par la France ;

Tous les témoignages des personnes migrantes ou réfugiées ayant résidé en France ont montrés les nombreuses difficultés et entraves dans l’accès aux droits sociaux, à la santé, au travail, à l’éducation etc. ; tous ces droits étant subordonnés bien souvent à la régularité du séjour, ou simplement bafoués par leur absence de mise en œuvre.

  • Violations des droits des Défenseurs des droits

La solidarité envers les personnes migrantes en difficulté a été transformée en délit par les pouvoirs publics, qui instrumentalisent l’État d’urgence pour multiplier les poursuites, les intimidations voir le harcèlement des personnes solidaires comme l’a décrit le témoignage de Cédric Herrou.

Cédric Herrou témoigne sur la violation des droits des défenseur.e.s des droits

COMPLICITE DE CRIMES CONTRE L’HUMANITE

Il est demandé au Tribunal de se prononcer sur la complicité des dirigeants et des agents des États membres, prise en la personne de la France et de l’Union Européenne dans la commission d’un crime contre l’Humanité perpétré dans le cadre de l’application des politiques migratoires mises en place par ces derniers.

Compte tenu de l’ensemble des éléments recueillis au cours de la session, le TPP estime qu’il existe des motifs raisonnables de retenir cette qualification à l’encontre de l’Union Européenne et des États qui la composent, dont la France.

RECOMMANDATIONS

Le Tribunal demande :

  • la révision immédiate de tous les accords passées entre l’Union Européenne /États membres et pays tiers, en particulier avec la Turquie et dans le cadre du Processus de Khartoum.
  • la signature et la ratification par l’ensemble des États membres de l’Union Européenne de la Convention du 18 décembre 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention 143 sur les migrations dans des conditions abusives et la n°189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques.
  • aux parlements français et européen de constituer une commission d’enquête sur les graves exactions à Mayotte.
  • aux autorités françaises de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les violences policières et faciliter leur dénonciation.

Le Tribunal invite instamment les pays membres et en particulier la France ainsi que l’Union Européenne au strict respect de l’ensemble des dispositions légales protectrices du droit des Migrant.

Le Tribunal souligne, en conclusion, que cette audience n’aurait pas été possible sans l’engagement des organisations, associations, fondations et collectifs, qui accueillent, et portent secours aux Migrants et Réfugiés et lutte pour le respect de leurs droits fondamentaux.

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