Les conditions de l’accès de l’Islam politique à la démocratie.

, par  BENHAIM Raymond

1. Le FSM doit répondre, maintenant, au défi d’intégrer les nouveaux acteurs du sud de la Méditerranée, les pays où explosent les contradictions, et où apparaissent les nouvelles façons de penser le politique et pratiquer la politique.

2. Les mouvements de révoltes au sud de la Méditerranée furent en résonnance avec les mouvements des Indignés contre les dictatures des marchés de l’ordre néolibéral sur l’ensemble des sociétés européennes. Mais nous ne pouvons nous contenter de la projection des contradictions externes que l’ordre mondial néo libéral produit au sein de ces sociétés. Nous avons à prendre en compte de manière principale les contradictions internes issues des sources de pensée politique et culturelle de ces mêmes sociétés.

3. Nous sommes dans une histoire devenue de plus en plus immédiatement globale. Notre rôle historique est que nous en fassions, ensemble, une histoire commune. Pour que l’histoire ne soit plus sous la dictée des vainqueurs, la priorité devra être donnée au renouvellement de nos stratégies médiatiques. Mais simultanément, nous avons à élaborer au cours des prochaines années ce que nous avons à dire sur ces sujets décisifs.

4. De l’Espagne à la Norvège, les révoltes démocratiques des mouvements arabes sont en mesure de changer les perceptions des sociétés européennes sur leur composante de confession musulmane et issue des sociétés du sud de la Méditerranée. Elles leur ont donné fierté et dignité en cassant l’image de sociétés soumises par essence à l’autoritarisme. Ceci est issu du lent et brutal réveil des courants démocratiques et des mouvements multiformes autour de l’islam politique.

5. Ainsi du fait de l’islam politique, la même question se pose des deux côtés de la Méditerranée, mais en des termes différents. De l’Europe du sud à celle du nord, c’est en des termes de capacité d’intégration de communautés dont les valeurs et les comportements considérés jusqu’alors comme antinomiques avec les sociétés occidentales, du fait de leur appartenance confessionnelle. Dans les sociétés du sud, les termes sont ceux de la signification et des conséquences sur la société de l’accès au pouvoir par la voix des urnes des mouvements islamistes

6. C’est une situation totalement nouvelle qui appelle une remise à plat de la pensée dominée par l’européocentrisme au sein de l’alter-mondialisme. Nous ne savons pas comment entrer dans la pensée politique et culturelle des mouvements islamistes qui ont participé tardivement à ces mouvements. Nous ne pouvons nous contenter de l’affirmation juste mais fort insuffisante de la demande de liberté et de démocratie des peuples. La question posée est celle des modalités d’expression de l’universalisme des valeurs par les cultures politiques issues de l’islam, des sociétés du sud de la Méditerranée et du sud et sud est asiatique. Car désormais, une guerre idéologique qui porte en elle une grande confusion est déclarée. Nous devons nous y préparer.

7. Nous avions reporté la réflexion sur ces sujets et accusé un retard dans l’accomplissement des efforts pour participer au renouvellement de la pensée politique et culturelle qui se développe dans les pays du sud de la Méditerranée. Nous avons d’abord à prendre acte de notre ignorance pour mieux apprendre, tout comme les mouvements et les sociétés du sud de la Méditerranée sont en cours d’apprentissage de la liberté et de la démocratie, nous avons à nous mettre en apprentissage des formes de pensée des cultures islamiques pour échapper à l’impératif de la pensée européocentriste dominante. Pours être entendus, il nous faut prendre conscience que nous sommes perçus par les mouvements démocratiques des pays du sud comme paternalistes

8. Cet effort d’innovation politique culturelle et théorique qui nous ait imposé par les révoltes populaires, n’est pas inédit dans l’histoire du mouvement révolutionnaire des pays arabes. Un rappel manifeste de cette nécessité historique, est le fait que les mouvements marxistes arabes dans les débuts des années 60 du siècle dernier posaient, au Maroc, en Irak, en Egypte et en Tunisie, l’importance de tenir compte des valeurs progressistes de l’Islam et de les incorporer dans les valeurs démocratiques et populaires. Les partis baasistes conscients du danger pour eux que représentaient cette nouvelle orientation ont alors liquidé physiquement et politiquement les marxistes arabes de l’Irak au Maroc. Il y a à reprendre le cours d’une histoire pétrifiée par le despotisme et qui vient d’être brisée par les révoltes populaires des sociétés arabes.

9. C’est pourquoi nous avons une connaissance limitée et partielle et partiale de ces sociétés. Parce que la parole dans ces sociétés a été plombée pendant des décennies. Leurs journalistes, leurs intellectuels, leurs partis politiques, leurs syndicats étaient soit sous les verrous, soit réduits au silence, soi pervertis par les despotes. Nous n’avions que les nouvelles de la répression. Nous étions solidaires contre la répression. Mais nous ne savions pas grand chose des débats internes chez les réprimés, ni de ce qui se passait, ni de ce qui se discutait, dans leurs partis politiques et leurs organisations.

10. Ce qui s’est manifesté aux yeux du monde entier au cours de l’année écoulée est le caractère pluriel, hétérogène et contradictoire des sociétés arabes, comme toute société. Les sociétés arabes sont comme toutes les sociétés du monde, mouvantes, avides de liberté et d’émancipation. L’unicité imposée par les mouvements islamiques est en cours d’implosion. La maturité des courants démocratiques s’établit par la volonté de reprendre leur victoire volée. La tendance des prochaines années sera telle que les partis islamistes sont appelés à se fragmenter et les courants démocratiques à se regrouper.

11. La période de la modernisation conservatrice que les pays du sud de la Méditerranée viennent de traverser au cours des quinze dernières années, va connaître un renouvellement des alliances de classes pour un autre leadership, pour le même objectif, que l’ordre conservateur demeure. Telle est l’ambition des dominants. Pour l’heure, passer d’une lutte contre les répressions du régime autoritaire à la conquête du pouvoir politique demande, pour les courants démocratiques, la capitalisation par une sérieuse organisation politique. La contrainte consiste à maintenir le jeu ouvert, traduire les revendications concrètes des gens, et répondre à leur inquiétude vis à vis de l’insécurité. Les courants démocratiques non islamistes ont de fait, à faire l’apprentissage de la conquête pacifique du pouvoir, tout comme les partis islamistes ont à faire l’apprentissage du respect des libertés publiques et des libertés individuelles. Ce sera un dur et long combat.

12. L’incertitude qui pèse aujourd’hui sur l’avenir des sociétés arabes est, nous le savons, l’autre nom de la liberté. Par delà le fait qu’après toute période révolutionnaire, la réaction s’abat, le jeu est ouvert et la parole est libérée. L’islam politique s’affronte d’ores et déjà à l’épreuve du pouvoir et en subit, transformations et éclatement, puisque les divergences apparaissent sur les conduites politiques sociales et économiques et culturelles à tenir face à l’hétérogénéité de la société et de ses revendications. Les mouvements islamistes ne sont pas outillés pour adapter l’appareil de l’Etat aux besoins sociaux de la population dans un contexe d’ouverture économique

13. Dans l’ensemble des pays du sud de la Méditerranée, commence une bataille qui va faire rage pour la reprise par les mouvements islamistes, morceau par morceau, de l’appareil d’Etat, et tenter de l’arracher, au prix de compromis, aux héritiers de l’autoritarisme et des militaires. Dans cette bataille les courants démocratiques peuvent et doivent jouer un grand rôle. Ils seront sollicités par l’un et l’autre des deux camps pour participer et ainsi étouffer leur combativité et les diviser. En même temps, alors qu’ils ont démontré leur représentativité par les luttes menées de front contre les pouvoirs, les mouvements islamistes, brandissant leur préceptes religieux, mènent une guerre idéologique de calomnie pour les isoler du peuple.

14. La période actuelle est grosse de crises successives immédiates de l’ordre néolibéral et de leurs effets catastrophiques sur l’ensemble des couches sociales des sociétés et des Etats des pays du sud de la Méditerranée. Sera donc très dure et de longue et durée, la lutte politique pour le contrôle de l’administration publique, des entreprises publiques, de la police et de l’armée, lieux de création massive de l’emploi. Dans cette bataille, l’importance politique du poids des courants démocratiques dépend aujourd’hui de trois facteurs, la capacité des courants démocratiques à se regrouper et à opérer de manière collective, la nécessité d’élaborer un nouveau référentiel démocratique qui fasse consensus au sein des plus larges masses et concurrence de manière frontale le référentiel islamiste, enfin la capacité de dégager un leadership en leur sein pour éteindre la lutte des égos.

15. Durant cette période, le rôle déterminant dans la récente période, des pays du Golfe et de l’Arabie saoudite, de plus en plus important, se substitue largement à celui de l’impérialisme traditionnel et des pouvoirs occidentaux. Il y a lieu de prendre la mesure de l’immense labeur et influence effectués depuis des décennies par ces pays dans la modification du rapport de forces internes et dans l’islamisation des sociétés. Ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie, en Lybie et en Egypte est autant la victoire de ces pays, de leur idéologie et de leur zone d’influence, que celle des courants démocratiques. Comment pouvons nous intervenir dans cette zone opacifiée ? Ce sera l’une des taches du Forum social Maghreb-Machrek.

16. Aussi, est multiforme le combat pour la liberté et la démocratie dans les pays du sud de la Méditerranée. La tâche historique à l’étape actuelle est de combattre le compromis entre les courants affairistes et les militaires d’un côté et les islamistes de l’autre, avec la continuité de le renouvellement amélioré de leurs rôles respectifs, l’économie de rente pour les premiers et le petit commerce et les valeurs culturelles pour l’islamisation complète de la société pour les seconds

17. La dimension grandissante du front culturel de la lutte de classes procède du fait qu’il est devient de plus en plus, le lieu de confrontation entre les courants démocratiques et des mouvements islamistes. C’est le lieu où la diversité et l’hétérogénéité des comportements de différentes composantes des sociétés du sud de la Méditerranée auront à s’exprimer et à s’affirmer. Et c’est le rôle des courants démocratiques de multiplier et d’amplifier cette affirmation par le renouvellement et l’extension des formes et lieux de débats.

18. C’est aussi là que la bataille pour les libertés publiques rejoignent les libertés individuelles. Ainsi cela sera atour de l’exigence des DROITS affirmés et issus au cours de la dernière période révolutionnaire que les classes populaires imposeront la lutte. Il s’agit des droits sociaux et économiques en premier lieu, le droit à l’emploi, à l’éducation, à la santé, à l’habitat, à la liberté d’expression individuelle et collective.

19. L’hégémonie idéologique portée par les courants démocratiques du fait de la lutte contre l’autoritarisme s’est construite progressivement et furtivement au cours des deux dernières décennies par les multiples batailles pour l’Etat de droit. La même bataille demeure, mais elle est plus dure, elle se dresse contre les anciennes victimes de l’autoritarisme, les mouvements islamistes. La bataille pour l’hégémonie, encore et encore pour l’Etat de droit, aujourd’hui, concerne en premier lieu, un travail sur l’émancipation. Il a à informer et convaincre sur la place et le périmètre du religieux dans la cité. ?

20. Le travail de renouvellement et d’élargissement de notre activité politique et militante en direction des pays, des sociétés et des mouvements sociaux des pays dus sud de la Méditerranée appelle, alors, la définition des étapes et des priorités. Le plan d’action pour l’heure devrait porter sur les récits comparés des expériences des pays dans la lutte et l’alliance entre les courants démocrates et les mouvements islamistes, le bilan des leçons politiques, le programme pour quelles perspectives

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