Or, il faudrait se demander ce qu’on entend par « sécularisation », et ce que signifie ce « projet d’émancipation » et on doit dans toute discussion qui concerne l’islam/l’émancipation des femmes, l’islam/modernité, l’islam /« laicité » etc., commencer par décoloniser et dés-essentialiser notre lecture à la fois du féminisme (de la modernité et de la laïcité) et de l’islam :
– Il faut rappeler que le procès de sécularisation ne signifie pas la même chose pour tout le monde : le terme de « laicité » français n’a pas son équivalent en langue arabe par exemple (on parle plutôt de seculier « ‘ilmani »). Comme le dit très justement l’intellectuel irakien Sami Zubaida1, la sécularisation dans les sociétés moyen-orientales a certes signifié une distinction et une séparation structurelle et institutionnelle des sphères sociales de la religion et de ses autorités. C’est-à-dire que la société n’est plus dirigée institutionnellement par le religieux, on ne parle plus selon les « Lois de Dieu ». Mais cela ne signifie pas nécessairement une diminution ou une faiblesse de la pratique religieuse. Les individus peuvent rester « religieux » tout en vivant dans un cadre qui n’est pas structuré par le religieux, ce qui est le cas dans la plupart des sociétés moyen-orientales.
– Le féminisme, la sécularisation a été une expérience coloniale pour les sociétés arabes et musulmanes, et c’est à partir de la période coloniale et surtout pour justifier l’ambition coloniale qu’il y eut cette construction de l’Autre musulman « archaïque », « patriarcale », « obscurantiste » face à l’Occident qui serait le modèle par excellence de modernité et de progrès.
Un exemple parlant : Leila Ahmed dans son récent ouvrage A Quiet Revolution2 qui traite des processus de voilement et de dévoilement au Moyen-Orient montre qu’à la fin du 19ième siècle dans un pays comme l’Egypte, alors que le voile était une pratique culturelle, porté par la plupart des égyptiennes qu’elles soient chrétiennes, juives ou musulmanes : seul le voile musulman va être désigné comme symbole par excellence de l’oppression des femmes. Cette définition du voile comme lié au « patriarcat musulman » par le colon va influer sur la nature des processus de dévoilement et de revoilement par la suite dans les sociétés musulmanes.
Pour dépasser la binarité de ces oppositions et les comprendre, pour mieux les déconstruire, il me semble que parler des féminismes islamiques en tant qu’outil et concept intellectuel, mais aussi en tant que mouvement transnational, est intéressant. Pourquoi ? Parce qu’à mon sens et comme je le présente et l’introduit dans l’ouvrage Féminismes islamiques cela nous permet justement de repenser le féminisme, de le décoloniser, mais aussi de dés-essentialiser « l’islam » : qu’est-ce qu’on entend par féminisme et qu’est-ce qu’on entend par islam ? Et on se rend très vite compte qu’il faut parler au pluriel : qu’il y a bien des féminismes et des manières très différentes d’appréhender et de vivre l’islam.
Parce que la vision coloniale de l’islam, c’est aussi lui faire perdre son hétérogénéité, la complexité de ses réalités, tout comme l’approche essentialiste du féminisme c’est de le réduire à une modalité de lutte pour l’émancipation.
Pour commencer, il faut rentrer dans la manière dont le féminisme, l’égalité et la question de l’émancipation est posé à l’intérieur du cadre religieux musulman : il s’agit de comprendre comment les choses se pensent, se posent, selon quel processus et quelle modalité les questions se formulent dans des contextes où l’islam est un référent à la fois spirituel, mais aussi culturel et identitaire majeur.
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