Droits des Peuples Autochtones

, par  Aurélie Journée-Duez

Depuis la Campagne « 500 ans de résistance indigène, noire et populaire » et le Sommet de la Terre de Rio en 1992, les peuples autochtones ont pris une place importante dans les différents Forum sociaux, contre-sommets et rencontres internationales. Ils y apportent leur propre vision du monde et une autre façon de le voir, de le percevoir. Des mouvements, tels que les zapatistes au Mexique influencent l’altermondialisme et "celles et ceux qui ont le coeur en bas et à gauche" (comme ils le disent eux-mêmes). Leur relation spécifique à la terre, à leurs territoires et à la nature sont des atouts pour la construction d’une autre société, emplie de justice sociale et climatique. Il est grand temps de les écouter et de les accompagner pour la défense de leurs droits dans une perspective décoloniale et la construction d’un autre futur... Tels sont les réflexions, les enjeux et les revendications, que propose de mettre en lumière, de mutualiser et de soutenir, le groupe de travail « Droits des Peuples Autochtones » d’Intercoll.

« Peuples autochtones » ? Une question sémantique éminemment politique

Le terme « autochtones » apparaît pour la première fois à la fin des années 1970, promut d’abord par les peuples considérés alors comme « minorités » aux Etats-Unis et au Canada. En près de 15 ans, cette terminologie va trouver écho auprès des peuples (encore appelées « populations ») autochtones, qui vont finalement s’en saisir à l’échelle planétaire. Selon l’UNESCO, les peuples autochtones regroupent entre 370 et 500 millions de personnes à travers le monde, sur 22% des terres de la planète.

La naissance de ce mouvement – d’abord amérindien – porteur de revendications fortes quant à leur reconnaissance, à leur respect et à leurs droits, sur leurs terres ancestrales, se fait dans la continuité des événements en cours aux Etats-Unis en faveur des droits civiques et sociaux des Africains-Américains, portés notamment par les Black Panthers. 1974 est une année cruciale, au cours de laquelle a lieu à Standing Rock (réserve Sioux Lakota dans le Dakota du Nord, Etats-Unis), la réunion des « nations autochtones souveraines ». La première pierre à l’édifice de l’avènement des peuples autochtones est alors portée. Plusieurs milliers de représentants amérindiens se réunissent et s’accordent sur la création du « Conseil International des Traités Indiens ». Désireux de poursuivre cette perspective internationaliste, les instigateurs de cette première réunion réitèrent leur démarche en organisant l’année suivante, en 1975, une seconde rencontre, cette fois-ci à Port-Alberny (Canada). Près de 50 dirigeants autochtones s’y retrouvent, en provenance encore une fois des Amériques, mais également de l’Europe (Sami), et du Pacifique (Maori et Aborigènes d’Australie). Ainsi se crée le Conseil Mondial des Peuples Autochtones. Un autre acteur va impulser ces échanges, l’ONG International Work Group for Indigenous Affairs (IWGIA), créée en 1968. L’enjeu de la reconnaissance des peuples autochtones et de leurs droits, à l’échelle internationale, nécessite en effet de franchir une nouvelle étape : accéder à l’Organisation des Nations Unies (ONU). La mobilisation de l’ONG IWGIA dans ce processus est d’importance fondamentale pour les organisations autochtones, dont l’aboutissement est la grande conférence sur « La discrimination contre les populations autochtones des Amériques » en 1977 (Morin, 2006 : 11-12). La longue bataille livrée au terme « populations » connaît une victoire de taille, puisque 40 ans plus tard est enfin adoptée la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones (2007).

Droits à la terre vs. Extractivisme

Malgré le rôle et la place cruciaux qu’occupent les peuples autochtones dans les instances supranationales et les forums internationaux, leurs droits ne cessent de devoir être réaffirmés au jour le jour. La mention faite à la rencontre des « nations autochtones souveraines » à Standing Rock n’est pas anodine. En effet, cette réserve Sioux Lakota a été le terrain d’une des plus grandes mobilisations autochtones depuis lors. Entre avril 2016 et février 2017, plus de 200 nations autochtones, en provenance des Etats-Unis, du Canada, du Mexique, et des soutiens internationaux venus de Palestine et d’Europe, se regroupent ainsi pour lutter ensemble contre le projet d’oléoduc Dakota Access Pipeline (DAPL), porté par l’entreprise Energy Transfer Partners et le gouvernement états-unien. L’investiture de Donald Trump a porté un coup décisif à cette mobilisation, dont l’un des premiers décrets a notamment porté sur l’achèvement de la construction de cette infrastructure. Néanmoins, force est de constater que la bataille contre DAPL n’a pas été un échec. Celle-ci a en effet permis de voir des peuples autochtones des Amériques et plus généralement du monde entier se battre contre des projets liés à l’extractivisme, constitutifs d’une menace pour la préservation de leurs terres, de leurs traditions et de leurs modes de vie. Plus encore, ces mouvements contre les oléoducs ont permis de mettre en exergue que la protection de la Terre-Mère n’est pas une question autochtone, mais touche tout un chacun, rejoignant en cela les mouvements écologistes mondiaux. A l’heure actuelle, d’autres mobilisations contre des projets extractifs mettant en péril des terres autochtones et l’environnement sont en cours, telles que la lutte contre le projet d’oléoduc Line 3 par la société Enbridge dans la région des Grands Lacs (Etats-Unis), ou la bataille livrée par le peuple Secwepmec contre l’extension de l’oléoduc TransMountain par la société Kinder Morgan (Colombie-Britannique, Canada). Enfin, un combat majeur se joue dans la même région, cette fois-ci porté par le camp Unist’o’ten membre de la nation Wet’suwet’en, qui se bat lui aussi contre le passage d’un oléoduc sur ses terres, face aux forces tactiques et policières canadiennes ayant procédé aux premières évictions de manifestants il y a tout juste quelques semaines...
Au même moment avait lieu au Mexique l’explosion d’un oléoduc tuant 73 personnes et faisant plus de 70 blessés.

La lutte contre l’extractivisme n’est pas le seul combat que mènent les peuples autochtones. Au Chili et en Argentine, les Mapuche se battent pour leur droit à la terre et contre des multinationales telles que Benetton, qui s’accaparent les terres ancestrales de ce peuple dans l’unique but de faire du profit et de nourrir le système capitaliste.

Ces formes de résistances permettent de voir converger des mouvements en faveur à la fois de la protection des terres autochtones, d’un monde nouveau où le respect de la nature et de l’environnement serait une priorité, mais également offrent une possibilité de voir naître des formes de résistance nouvelles alliant luttes contre l’extractivisme, luttes contre le capitalisme et luttes contre l’impérialisme. En d’autres termes, les mouvements des peuples autochtones posent la question de savoir qui se cache derrière ces projets meurtriers. Or, il s’agit bien là encore de cet hydre à trois têtes qu’est le capitalisme, dont la force repose encore et toujours sur les gouvernements, les multinationales et les banques.

La France n’est d’ailleurs pas étrangère à ce constat. Cinq banques ont financé la construction de l’oléoduc DAPL (dont la Société Générale, BNP Paribas, le Crédit Agricole), la société Vinci – à travers sa filiale Spiecapag – se cache derrière l’extension de l’oléoduc TransMountain. Enfin, et il est grand temps de le réaffirmer, la France continue aussi à exploiter et à piller ses propres colonies, dont la Guyane notamment, à travers le dernier méga-projet que le Président Manuel Macron porte : le projet Montagne d’Or. Celui-ci menace l’existence et la survie de 6 peuples autochtones, Kali’na, Teko, Paykweneh, Wayana, Wayapi et Lokono (Arawaka). La France continue aussi à réaffirmer son impérialisme sur d’autres continents, tels que l’Océanie. En 2018, a eu lieu en Nouvelle-Calédonie (Kanaky) le référendum pour l’indépendance, porté par le peuple kanak désireux de réaffirmer sa souveraineté et de pouvoir d’exercer son auto-détermination, alors que la Nouvelle-Calédonie figure toujours sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU...

Terres colonisées, corps meurtris : de l’exploitation des terres aux féminicides autochtones

Face aux projets extractifs, les femmes autochtones luttent en première ligne. Pourtant, le fait que celles-ci soient à la fois femmes et autochtones leur fait courir des risques majeurs. Ainsi, entre 1980 et 2012 ont disparu et/ou ont été assassinées au Canada près de 1181 femmes autochtones. Les chantiers qui s’ouvrent à travers les Amériques dans le but d’exploiter les terres et d’en piller les ressources naturelles impliquent la mise en place de bâtiments destinés à accueillir les ouvriers travaillant pour ces projets, augmentant encore les risques pour les femmes autochtones d’être sexuellement abusées ou prises dans des réseaux de trafic d’êtres humains. C’est notamment ce contre quoi se battent actuellement des groupes de femmes au Brésil, au Mexique ou encore au Canada, à travers la lutte contre les « camps d’hommes » qu’implique l’extension de l’oléoduc TransMountain. Par analogie, la réaffirmation et l’application effective des droits autochtones à la terre porte aussi la réaffirmation du droit des peuples – et des femmes – autochtones à la vie.

Credits : Midia Ninja
Midia Ninja

Vers une décolonisation des langues et des esprits...

Alors que l’année 2019 a été déclarée Année Internationale des Langues Autochtones par l’UNESCO, l’enjeu de la reconnaissance et de l’application effective des droits des peuples autochtones concerne également la préservation de leurs cultures et de leurs traditions. La sauvegarde et l’éducation dans les langues originelles de ces peuples est un enjeu fondamental de souveraineté et de décolonisation des esprits. Des initiatives intéressantes en ce domaine voient progressivement le jour, notamment grâce aux potentialités offertes par la technologie numérique. Des applications pour smartphones sont ainsi développées visant à sauvegarder, conserver et diffuser des langues autochtones dont le nombre de locuteurs n’a cessé de diminuer avec l’enseignement forcé de l’anglais, du français, de l’espagnol et du portugais, partout où les peuples autochtones ont été en contact avec les empires coloniaux.

Les enjeux de la reconnaissance et de la valorisation des langues autochtones se voient à travers l’utilisation croissante, dans les mouvements sociaux, les forums internationaux et les ouvrages universitaires, de certains concepts pour repenser ce monde et en créer de nouveaux. Nous pensons ici notamment à la notion de buen vivir qui, bien qu’espagnole, trouve en réalité ses racines dans plusieurs langues autochtones d’Amérique du Sud : sumak kawsay en Quechua, suma kamaña en Aymará, ñande reko en Guarani, shiir waras en Ashuar, küme mongen (Thompson, 2017 : 2) en Mapudungun, langue des Mapuche. Chacun de ces termes est issu de différentes cosmologies que ces langues reflètent. D’autres concepts permettent également de mettre en valeur les croyances et les spiritualités autochtones qui insufflent certaines idées que les langues coloniales ne permettent pas complètement de traduire. C’est notamment le cas aussi du terme hózhó en langue navajo (diné), notion complexe qui implique de vivre sainement, dans l’harmonie et la beauté. De tels exemples foisonnent, nous pouvons encore citer la notion de mauli ola (des Kanaka Maoli, peuple autochtone d’Hawaii), ou encore celle d’ubuntu en luba (République Démocratique du Congo). A travers ces concepts, l’enjeu est aussi et surtout de réaffirmer les liens unissant les êtres humains, et plus généralement, les êtres vivants, à la terre et à leur environnement. C’est que reflète notamment la notion de pachamama, issue de la cosmologie aymara de Bolivie, qui se rapproche de la « Terre-Mère » (Mother Earth) dont les mouvements de résistance autochtones à travers le monde se réclament et trouvent, à travers les liens de filiation qu’ils invoquent, les motifs de légitimation de sa protection pour les générations futures, par nous tous.

Cette année constitue donc un moment charnière dans la réaffirmation des droits, des cultures et des langues de ces peuples, qui permettent de penser et bâtir un autre futur.

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