Quelques considérations sur l’avenir du FSM et du mouvement altermondialiste

, par  Ronald Cameron

Résumé

Pour certains, le Forum social mondial n’a plus d’impact politique et se limite à des espaces de débat sans conséquence. Pour d’autres questionnent, le déplacement du FSM au Nord présente plusieurs obstacles à la participation. Du coup, une pression énorme s’exerce sur la préparation du FSM 2016 à Montréal en août prochain. Plus que les autres éditions, on jugera le FSM 2016 sur son impact en regard des luttes menées par les mouvements sociaux. Sans faire l’économie de l’implication d’individus dans les FSM, il est essentiel d’asseoir le processus sur les réseaux et les organisations de manière autonome et souveraine. L’ambition du projet étant inclusive, la stratégie doit se préoccuper continuellement de chercher l’équilibre entre individus et organisations, en évitant l’atomisation du processus. Le point d’appui sur lequel on peut le mieux asseoir une stratégie de transformation demeure celui qui a caractérisé le mieux les assises des Forums sociaux à ce jour, celui des réseaux et mouvements sociaux organisés. Le défi du FSM de Montréal est de tenir un événement qui sache réunir les secteurs significatifs des mouvements sociaux du Canada, du Québec et d’ailleurs, tout en répondant aux besoins de convergence des luttes. Pour cristalliser la maturation du mouvement altermondialiste, il semble essentiel de souder de solides relations entre les réseaux dans une sorte de front mondial des mouvements sociaux de la planète. Les prochains FSM pourraient de ce point de vue constituer des relais dans la construction d’un tel partenariat mondial.

Que devons-nous faire, en tant que citoyens et mouvements sociaux (les acteurs centraux des changements), pour que d’autres mondes soient possibles ?

Je ne suis pas en mesure de faire une définition exhaustive des nouvelles stratégies des acteurs centraux des changements. Je veux toutefois soutenir l’importance des organisations et des mouvements dans toute démarche qui espère capter la radicalisation citoyenne individuelle. Sans une telle médiation, les nouvelles radicalisations ne peuvent contribuer de façon durable à la transformation à long terme des sociétés. Elles peuvent avoir un impact dans l’immédiat, mais après leur reflux, l’énergie dégagée est en quelque sorte évaporée. Une confusion certaine a présidé sur ce plan au sein de l’équipe d’organisation du FSM de Montréal. Une clarification doit être faite en lien avec les discussions qui ont prévalu en vue de la tenue de l’événement. J’ai constaté une ouverture importante de la part de membres du Conseil international du FSM aux nouvelles mobilisations. On pense notamment aux mobilisations d’Occupy et de certains secteurs en mouvement dans les mouvements sociaux, notamment au Moyen Orient. Le « Printemps érable » au Québec peut témoigner aussi d’une certaine manière de la même dynamique. Il est en effet absolument essentiel de prendre en compte ces nouvelles réalités. L’exemple des Indignés est souvent présenté comme un des mouvements typiques de la nouvelle radicalisation prometteuse. Il est vrai qu’elle a contribué à rejeter les organisations traditionnelles. Elle a néanmoins migré dans une nouvelle formation politique qui joue un rôle clé dans la recomposition et le renouvellement de l’action politique de la gauche sociale.

Quelle est la place respective des « anciens » et des « nouveaux » mouvements sociaux ?

Certaines critiques vont jusqu’à écarter les organisations et mouvements plus traditionnels, voire à éliminer même du vocabulaire altermondialiste les concepts de mobilisation ou de campagne, étant donné leur verticalité ! Il s’agit pour moi d’une erreur majeure qui pourrait isoler le mouvement et qui s’écarte des objectifs d’inclusion. Aussi, il s’agit selon moi d’une interprétation biaisée de la notion de mobilisation. On peut certainement critiquer les syndicats et les partis, pour une approche trop top down. Toutefois, il existe une conception de la mobilisation qui part des préoccupations des membres et qui fait partie intégrante des efforts que peuvent déployer ces organisations ou les mouvements. De plus, du point de vue de la stratégie à long terme du mouvement altermondialiste et du FSM, on doit prendre appui sur les moyens de ces organisations et mouvements sociaux en vue de mobiliser leurs membres. Les mouvements et les organisations ne présentent pas tous le même intérêt. On pourrait certainement prioriser ceux et celles qui sont les plus près du Conseil international et du processus des Forums sociaux. L’ambition du mouvement étant inclusif et cherchant à rallier les anciens et les nouveaux mouvements sociaux, la stratégie doit se préoccuper continuellement de chercher cette inclusion, et d’éviter l’atomisation du processus des forums sociaux. Le point d’appui sur lequel nous pouvons le mieux asseoir une stratégie de transformation demeure ce qui a caractérisé le mieux les assises des Forums sociaux, celui des réseaux et mouvements sociaux organisés.

Est-ce le cas avec le Forum social mondial de Montréal ?

Je crois qu’un problème à la base du modèle d’organisation du FSM de Montréal est ce fétichisme de l’engagement individuel qui se transformerait en une vague déferlante de militantisme pro FSM et qui marginaliserait la place des organisations et des réseaux dans la réalisation de l’événement. C’est une bien mauvaise approche de la construction du mouvement et du processus du FSM. Sans faire l’économie de l’implication d’individus dans le processus, au-delà des frontières des organisations, il est essentiel de définir un espace aux réseaux et organisations qui soit indépendant et souverain dans leurs décisions.

Quel est le rôle d’instruments comme le processus du Forum Social Mondial ? Comment devraient-ils remplir ce rôle ?

Ce n’est pas tout le monde qui est convaincu que le processus du FSM soit utile pour leurs luttes. Des critiques qui proviennent d’importantes organisations ont été entendues, au Québec, au Canada et aussi ailleurs dans le monde, notamment à Paris, lors des mobilisations de la Coalition COP 21. Au cœur des critiques, il y a l’opinion que les grandes manifestations internationales comme celles du FSM ont peu d’impact politique et se résument à des espaces de débat sans conséquence. On pouvait entendre de telles considérations y compris à Porto Alegre, alors que se tenait, en amont du CI du FSM, un Forum social thématique sur les 15 ans des FSM (FST +15). On comprend qu’une profonde réflexion est amorcée à différents niveaux sur la fonction du processus des FSM et la présente consultation en est une. Indépendamment du bilan particulier des différentes éditions, comment engager le renouvellement du processus des FSM ? Quel est sa pertinence dans la conjoncture actuelle et comment la concrétiser ? L’idée de promouvoir un FSM qui se préoccupe d’articulation des luttes, du développement de plans d’action, de contenu pertinent aux mouvements et organisations de l’événement, est importante dans une perspective de renouvellement et de critères d’évaluation qui ne sera pas basés sur le nombre. La tenue du FSM 2016 de Montréal sera donc évaluée dans une telle approche de renouveau.

Peut-on espérer du FSM de Montréal un point tournant engagé vers l’avenir ?

L’innovation ne réside pas dans l’exercice de définition des thèmes, qui s’est transformé pour le FSM de Montréal à un exercice de contenant. Le nombre d’acteurs qui n’ont pas été impliqués dans la définition des thèmes à Montréal, parce qu’essentiellement centré sur un processus individuel et sur une approche générique apolitique, a suscité de nombreuses critiques au niveau local et international. Plusieurs membres du CI ont déploré que le résultat ne permette pas une narration politique, qui sache prioriser et centrer les préoccupations du FSM sur les enjeux centraux. De ce point de vue, l’analyse politique demeure un élément majeur et structurant dans l’évaluation des objectifs qu’un instrument comme le processus des FSM doit poursuivre. Cette analyse politique centrée sur l’identification d’objectifs politiques pour les FSM est essentielle et devrait présider toute définition de thèmes, qui doit s’écarter d’une approche globalisante et absolue. L’analyse doit inclure la situation locale, mais aussi associer les réseaux et mouvements sociaux mondiaux les plus proche du processus, au travers le conseil international du FSM, pour préciser et identifier de tels objectifs. Vraisemblablement, le FSM de Montréal marquera un tournant, à la fois pour les aspects négatifs que pour les avancées au niveau des concertations qui pourront en résulter. La phase d’accroissement spectaculaire de la participation au cours des quinze années de FSM pourrait devenir chose du passé. Cette phase était aussi fondée essentiellement sur l’affirmation d’espaces inclusifs de débats et de définition d’alternatives. Sans disparaître, cette caractéristique des FSM est maintenant insuffisante pour plusieurs réseaux et mouvements qui demandent depuis quelques temps à des résultats plus concrets.

Comment le FSM peut-il se relancer ?

La traduction des discussions dans des éléments unificateurs d’orientation stratégique devient une exigence de toute discussion esquissant le portrait d’un autre monde. Le processus des FSM doit remettre en perspective la question de sa pertinence, de sa portée et de la valorisation des actions de première ligne, tout en maintenant les principes et la méthode d’espaces inclusifs. Il est vrai que cette idée n’est pas nouvelle, que ça a pu être essayé par le passé avec des résultats parfois intéressants, et qu’il n’y a ni garantie, ni recette magique. Toutefois, on peut constater que cette exigence de dépassement du modèle de FSM, centré strictement sur la mise en place d’espaces inclusifs, est maintenant généralisée. Toute cette approche, centrée sur une meilleure articulation des mouvements sociaux de la planète, tout en assurant un appui majeur à ceux qui sont en lutte au plan local et régional, ne pourra pas se réaliser par la seule expression de l’intention. C’est pourquoi je veux ici ajouter un élément majeur, la transformation et l’élargissement du conseil international, comme une condition sine qua non de la tenue d’autres FSM dans le futur. En fait, un FSM qui ne soit pas nécessairement un succès de salle, mais qui assure d’abord sa pertinence sur le contenu, exige une concertation en amont des organisations sociales internationales.

En quoi le contexte canadien va-t-il influencer les débats du FSM de Montréal ?

Le FSM 2016 se tiendra non seulement dans un pays du Nord, mais dans un des membres du G7, un club politique qui réunit les pays parmi les plus prédateurs de la planète, qui concentre une part énorme de la richesse mondiale et qui contribue de manière massive à la hausse des émissions des gaz à effet de serre (GES) ! Ça constitue un défi singulier pour un mouvement qui vise à affirmer qu’un « autre monde est possible ». De manière sans équivoque, le premier FSM du Nord doit se démarquer du modèle que propose un tel pays capitaliste avancée, dont l’économie est basée sur les énergies fossiles. C’est le projet de ce premier FSM dans un pays du G7. Même si le FSM 2016 se tiendra dans un contexte d’ouverture politique au Canada, le gouvernement actuel dirigé par le Parti libéral demeure le principal levier politique de l’establishment canadien et des milieux financiers dominants (ce qu’on appelle « Bay Street », du nom de la rue où se situent à Toronto plusieurs établissements financiers). De nombreux obstacles persistent au niveau financier comme au niveau des visas, ce qui fait remettre en question le fait de tenir au nord cet événement. Bref, les exigences de la tenue de l’événement imposent une discipline basée sur la capacité d’agir à contre-courant du contexte économique et politique, ainsi que du contexte de crise dans lequel le processus des FSM est entré. Le défi est de tenir un événement qui sache réunir les secteurs significatifs des mouvements sociaux au Canada et au Québec, tout en répondant aux nouvelles exigences concernant les résultats attendus d’un FSM.

Quel est le point de départ pour soutenir un projet de front mondial des mouvements sociaux ?

Dans la réingénierie du processus des FSM et partant d’une perspective d’asseoir le mouvement altermondialiste sur les mouvements et réseaux sociaux en lutte dans le monde, l’objectif d’une telle approche réside, selon moi, dans la capacité de souder des relations solides entre les mouvements sociaux mondiaux. Ce devrait être du moins l’orientation poursuivie par le Conseil international (CI). Le renouvellement de la composition du CI est ici fondamental, pour redonner cet espace nécessaire aux organisations et mouvements. La perspective d’un front mondial des mouvements sociaux devrait inspirer en quelque sorte les plans d’action des instances du FSM. Il ne s’agit pas d’une nouvelle théorie pour une cinquième internationale. Je crois que nous n’en sommes pas là. Aussi, si les exigences d’unification des combats demeurent importantes, elles ne peuvent faire l’économie du maintien du pluralisme, de l’inclusion des différentes réalités des mouvements et de la nécessaire mise en place d’un cadre unitaire de débats. Il s’agit plutôt de cristalliser la maturation du développement du mouvement. L’objectif serait plutôt de permettre une sorte de consolidation des avancées obtenues depuis 15 ans. L’avenir du processus des FSM tient à sa capacité, me semble-t-il, à rendre pertinentes les rencontres et les FSM, du point de vue de la suite des actions menées par les mouvements et réseaux. Le maintien d’un espace ouvert et inclusif n’est pas à remettre en question, mais la traduction en concertations accrues et en soutien aux luttes m’apparaît une exigence plus importante actuellement. Je suis conscient que ce n’est pas nécessairement une perspective facile à réaliser, surtout dans un contexte d’une certaine distanciation des mouvements sociaux mondiaux du FSM et du questionnement sur la pertinence de tels événements. Néanmoins, il me semble que c’est là un défi majeur pour la suite des choses.

Ronald Cameron
Président d’Alternatives, Montréal

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