Un autre Brésil

, par  VAINER Carlos

À propos des mobilisations au Brésil, au printemps et à l’été 2013.

Une nouvelle conjoncture politique

Il est inutile de rappeler l’importance des luttes et des manifestations des derniers jours. Elles expriment une volonté extraordinaire non seulement de changer les politiques de transport, d’éducation, de santé, etc., comme le prétendent certains commentateurs qui essayent de minorer le sens des événements de ces derniers jours, mais aussi de transformer radicalement la société brésilienne et les formes d’exercice du politique.

Ceux qui suivent ou sont directement impliqués dans les luttes quotidiennes et s’efforcent de les organiser, savent que depuis longtemps se multiplient, au sein du tissu social, des formes de protestation, d’insatisfaction et de résistance diversifiées, dispersées et fragmentées. Combien de fois nous en sommes venus, pendant des réunions et conversations, à analyser et déplorer la fragmentation, ainsi qu’à essayer de trouver des voies – politiques, organisationnelles – qui pourraient favoriser des convergences, unités, fronts et articulations qui réunissent l’ensemble des conflits sectoriels et localisés ? Depuis combien de temps tournons-nous en rond à cause de la difficulté à faire converger des luttes micro-localisées, des expériences de luttes aux diverses bases sociales et objectifs ?

L’arrogance et la brutalité des détenteurs du pouvoir ont provoqué, en quelques jours, ce que beaucoup de militants, organisations populaires et mouvements sociaux essayaient de faire depuis longtemps : unifier les mécontentements, les luttes, les revendications, les aspirations. Ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’Histoire. Mais ce qui s’est passé a été au-delà de ce que l’on pouvait imaginer, du fait des abus de pouvoir des coalitions politiques au pouvoir, ainsi que du cartel d’intérêts qui a associé, autours des méga-événements, les médias, les intérêts des grandes corporations nationales, les spéculateurs et le cartel entrepreneurial international organisé par la FIFA et le COI (Comité Olympique International). Leur aveuglement, autosuffisance et violence ont incité des centaines de milliers, des millions de jeunes jusqu’ici distants de l’expérience politique, des jeunes et des moins jeunes qui bien que mécontents, croyaient jusqu’à maintenant que rien ne pouvait être fait…sauf accepter la reproduction du statu quo, à rejoindre la sphère de l’action collective.

Au début, des sociologues et analystes politiques conservateurs, appelés par la presse à “expliquer les événements”, ainsi que des chroniqueurs politiques, petits soldats des grands médias, se sont montrés sceptiques et ont pompeusement proféré leur verdict sans appel : « rebelles sans cause », « émeutiers »…Ils n’avaient rien compris. Tout comme la Présidente Dilma Rousseff et M. Blatter qui n’ont rien compris lorsqu’ils ont été sifflés à l’ouverture de la Coupe des Confédérations, ce qu’a bien montré l’expression perplexe de la première et le sourire crispé du second. S’imaginaient-ils qu’ils allaient être salués pour avoir construit, au prix de plus d’un milliard de réais, un stade pour 70 000 personnes, dans une ville ou le public moyen d’une partie de foot est de 2000 personnes ? Espéraient-ils les remerciements du gentil public lors de l’inauguration du stade pour lequel ils essayent de retirer le nom de Mané Garrincha [célèbre footballeur brésilien, ndt] pour y plaquer le nom de Stade National – triste et malheureuse évocation du 11 septembre chilien, évocation que le tabassage effectué par la police du District Fédéral de Brasilia est venu confirmer ?

Cette perplexité, cette incompréhension de l’origine de tant de protestations si diversifiées n’a qu’une explication : l’autisme social et politique du pouvoir. En d’autres mots, les dominants non seulement diffusent leur idéologie, mais ils y croient également. La chaîne de télévision Globo non seulement projette un monde fictif à travers ses messages, mais est aussi partie prenante de la mystification qu’elle produit. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Globo croit en Globo. Les responsables marketing croient en leur marketing politique et social. Et ils n’arrivent pas à se connecter et à comprendre le monde qui échappe à leurs constructions imagées et à leurs mythes.

Le fait est qu’ils ont été rapidement dépassés. Ils ont dû reconnaître qu’ils se trouvaient face à un mouvement de protestation politique ample, puissant, profond et englobant contre le statut quo. Mouvement indépendant des partis politiques, incapables de canaliser et exprimer la vitalité et la diversité des protestations et revendications, ce n’est pas pour autant qu’il s’agit d’un processus « apolitique » ou « sans propos ». Le propos était là, seuls ne l’ont pas vu ceux qui ne voient que l’arbre qui cache la forêt : transports, santé, éducation, corruption, démocratie, gaspillage des ressources publiques, participation politique, droits de l’homme. Un parti a-t-il réussi ces dernières années à produire un modèle ou un agenda politique précis et concret ? D’un certain point de vue, le très haut niveau de conscience politique exprimé par les millions de personnes qui descendent dans la rue, même si de forme désorganisée, en est surprenant.

Ce mouvement n’a pas été un hasard. Bien que son avènement ne soit pas écrit depuis la nuit des temps, il n’est pas arrivé par hasard. Et si la violence répressive l’a fait exploser, elle ne l’explique pas. Mao Tse Tung, peu lu de nos jours, a inclus dans le recueil du Petit Livre Rouge, bible de la première étape de la Révolution Culturelle, un texte de 1930 intitulé « Une étincelle peut mettre le feu à une prairie ». Cette petite phrase nous alerte sur la duperie de ceux qui ont essayé et essayent encore de réduire le mouvement à une lutte pour la réduction du prix des tickets de bus, ou pour un meilleur système de transports publics. C’est une revendication parmi beaucoup d’autres. Et si le Mouvement Passe Livre a eu l’initiative, ce n’est pas l’étincelle qui explique l’incendie, mais les conditions dans lesquelles se trouvait la prairie. La prairie, comme on le sait aujourd’hui, était sèche, prête à prendre feu. Et le vent soufflait intensément, pour diffuser le premier feu.

Pour tenter de comprendre ce mouvement il est nécessaire de considérer, d’une part, la multiplicité des insatisfactions et luttes fragmentées qui l’ont précédé et qui constituent, pour ainsi dire, son fondement. D’autre part, il faut comprendre les caractéristiques d’une conjoncture marquée par l’ouverture du cycle des grands événements sportifs. Si les « méga-événements », en eux-mêmes, n’expliquent pas l’explosion sociale et politique, il serait difficile néanmoins d’imaginer une telle explosion hors d’un contexte marqué par des dépenses publiques pléthoriques et l’abandon de nos villes aux mains des entreprises multinationales et cartels organisés autour de la FIFA et du COI.

Méga-événements, méga-business, méga protestations. Ici mérite d’être mentionné un autre élément important : comme beaucoup s’en sont aperçus, dans beaucoup de villes, même dans celles où il n’y aura pas de matchs, il y a une prise de conscience claire sur la signification, le sens, les objectifs et les résultats qu’il faut espérer de ces « méga-événements ». Il est possible de considérer que, de façon non négligeable, le travail réalisé par les Comités Populaires sur la Coupe et les Jeux Olympiques et par leur organisation nationale (ANCOP) a contribué de manière significative à construire la conscience collective, plus généralisée de ce que l’on pouvait imaginer, que les méga-événements constituent un fardeau insupportable pour notre peuple, qu’ils dévient des ressources des secteurs prioritaires et qu’ils avantagent toujours les mêmes puissants.

Il est indispensable d’avoir identifié clairement ces éléments, aussi pour définir les prochains pas que les différents mouvements et organisations populaires doivent faire. D’autant plus que les grandes manifestations ont ouvert une nouvelle conjoncture de lutte et ont reconfiguré de manière expressive le rapport de force, ouvrant de nouvelles et grandes possibilités d’évolution et de conquêtes pour les mouvements populaires.

#Hésitations de la droite et du gouvernement, nouvelles avancées des mouvements

Dès le début des manifestations, est apparue clairement l’incapacité totale des forces de droite de comprendre ce qui se passait. Ces forces étaient guidées, comme il est courant dans ces circonstances [4] , par la grande corporation médiatique qui opère presque comme un comité central des dominants, à savoir la chaîne Globo. Après quelques jours d’apologie de « la fermeté de la police à l’égard des fauteurs de trouble », elle a finalement différencié les manifestants portant des revendications légitimes des « vandales ». Le journal national de samedi dernier [5] mettait finalement un peu en lumière la brutalité de la répression policière et les provocations des « forces de l’ordre » [6] .

La rhétorique des différents partis politiques et des divers gouvernants, d’une certaine manière, plus ou moins rapidement, a été de s’aligner au nouveau ton, à mesure que des millions de personnes rejoignaient la rue. Perdus, sans savoir quoi faire, les maires, qui la veille dénonçaient les émeutiers et juraient qu’il était impossible de revenir sur l’augmentation des tarifs, ont commencé à suspendre l’augmentation, et même à réduire les prix en vigueur. Comment expliquer que les tarifs qui devaient être augmentés ont pu être baissés ? Ils n’ont rien expliqué, ils ont juste rendu explicite leur inconsistance, leur impuissance, leur manque total de solutions politiques pour répondre à ce problème crucial pour leurs villes, le transport public.

Cette tentative de freiner le mouvement avec ces premières concessions ne pouvait qu’avoir l’effet inverse. Les gens ont compris le message : la lutte et la pression permettent des conquêtes qui paraissaient impossibles la veille. « Si tu as une revendication ou si tu veux protester contre quelque chose, la solution est d’aller dans la rue et de manifester ». « On veut ça et on veut encore plus », a répondu la rue. Plus de manifestations, plus de gens dans les manifestations. Et la prairie prend feu.

A la fin des années 1970 et au début des années 1980, après les premières grèves de la banlieue ouvrière de São Paulo [dite ABC du nom de ses trois principales municipalités : Santo André, São Bernardo do Campo et São Caetano do Sul, ndt], des grèves ont explosé dans tout le pays. On assiste aujourd’hui à un phénomène similaire : les gens, les jeunes en particulier, descendent dans les rues, à Rio et à São Paulo, dans toutes les capitales [des états fédérés, ndt], à Juazeiro do Norte et à Blumenau, à Petrópolis, à Guarulhos et à Embu das Artes…

Pendant que la couverture télévisée focalise l’attention sur les “vandales” et sur la violence, les manifestants sont de plus en plus nombreux et se distinguent des provocateurs. Tous les efforts pour contenir les manifestations semblent, pour le moment, destinés à l’échec. Les techniques traditionnelles semblent avoir perdu en efficacité : ni les tentatives pour décrédibiliser le mouvement (émeutiers, rebelles sans causes), ni les concessions faites (réduction des tarifs), ni la volonté de terroriser (les manifestions dégénèrent en violence), rien ne semble marcher.

Cette première étape semble se terminer par l’ample victoire politique des luttes et manifestations populaires. Et le discours de la Présidente Dilma, vendredi 21 juin, retransmis par les chaînes nationales, a peut-être signifié le passage à la deuxième étape.

#Le discours de la Présidente Dilma Rousseff sur la chaîne nationale

Le discours de la Présidente Dilma Rousseff, du vendredi 21 juin, doit être lu et analysé avec attention. Il y a deux hypothèses pour expliquer son ton et son sens.

La première hypothèse serait construite à la lumière des deux premières années de gouvernement, faites de compromis avec les grandes corporations et leurs méga-projets, ainsi que les 10 dernières années de « pactes de gouvernabilité » conclus avec les forces les plus réactionnaires du pays, pactes menés à bien par la coalition gouvernementale guidée par le Président Luiz Inácio Lula da Silva. Cette hypothèse suppose de considérer le discours de la Présidente avec réserve et de ne pas le prendre au sérieux. Les pouvoirs et les faveurs accordés aux intérêts représentés par Ricardo Teixeira-Marin-Blatter et par le COB-COI (Comité Olympique Brésilien-Comité Olympique International) seraient suffisants pour dire qu’il n’y a rien à espérer de l’actuelle coalition gouvernementale. Tout se limiterait à une mise en scène, à une opération rhétorique qui chercherait à s’approprier tout ce que le mouvement actuel a de novateur, créatif, constructif. En bref, ce serait simplement une réédition de la stratégie traditionnelle de cooptation, destinée comme toujours, aux secteurs les plus organisés et les plus habitués aux négociations.

La deuxième hypothèse est fondée sur le fait qu’il y aurait quelque chose de nouveau sur la scène politique, qu’une nouvelle conjoncture aurait commencé. Dans ce cas-là, il serait possible de supposer que de fait la Présidente et le noyau dur du gouvernement fédéral ont écouté et ont appris quelque chose avec, comme elle-même le dit, « le message venu directement de la rue ». Il se serait produit un conflit entre différents secteurs de la coalition gouvernementale et la barre aurait été orientée vers un changement, bien que timide, dans le traitement des problèmes et mouvements qui résonnent dans les rues. Les secteurs, pour ainsi dire, plus proches et sensibles aux mouvements sociaux auraient réussi à conquérir un peu plus d’espace dans le processus décisionnel.

En n’importe quelle circonstance, il faut lire et analyser avec attention le discours de la Présidente, notamment parce qu’il est évident qu’il a été le résultat d’une rédaction attentive et minutieuse. De plus, parce qu’il était aussi adressé aux secteurs organisés des mouvements sociaux. Comprendre ce qui y est dit est essentiel si on veut définir avec clarté les prochaines étapes.

Commençons par les omissions et les silences. Premièrement, on a un silence assourdissant autour de la brutalité policière. Abondant en mentions sur le « vandalisme », faisant écho au slogan de la chaîne Globo, il n’y a même pas une seule référence aux violations ouvertes et brutales au droit de libre manifestation commises par les polices des états fédérés. Au moment où l’on discute du droit à la mémoire et à la vérité, l’héritage de la dictature militaire pour la démocratie brésilienne n’a jamais été aussi clair, avec des polices et des bataillons spéciaux qui brutalisent des manifestants pacifiques. L’information manque-t-elle sur ce qui s’est passé à Rio de Janeiro dans la nuit du jeudi 20 juin ? Peu probable. Le plus probable c’est que la décision a été prise d’omettre ce problème très grave ayant trait avec les fondements mêmes de l’ordre démocratique pourtant mis en avant dans la rhétorique présidentielle.

Le silence de la Présidente est préoccupant et doit être clairement et ouvertement remis en cause politiquement.

Le deuxième point problématique du discours concerne la tentative de conserver le flou au sujet de l’utilisation des ressources publiques dans des œuvres somptueuses et inutiles destinées aux méga-événements. En disant que les fonds du budget fédéral n’ont pas été utilisés pour ces projet, elle dit une semi-vérité, si l’on considère que : a) il est bien connu que le gouvernement fédéral donne l’aval principal aux méga-événements et à tous les grands chantiers ; b) que le gouvernement fédéral a transféré des ressources du Trésor au BNDES [Banque Nationale de Développement Social, ndt], qui elle-même finance à l’aide de subventions des stades inutiles, des projets de voirie absurdes, des hôtels etc… ; c) que le gouvernement fédéral a promu l’exemption d’impôts en faveur de la FIFA et du COI, et des entreprises associées ; d) que le gouvernement fédéral a été l’initiateur d’une mesure exceptionnelle autorisant des niveaux d’endettement plus élevés pour les états fédérés et les municipalités, violant ouvertement la Loi de Responsabilité Fiscale, afin de permettre les dépenses supplémentaires liées aux grands événements. De plus, en ne parlant que de budget fédéral, la Présidente passe sous silence le fait que les états et les municipalités s’endettent et que cela représente et représentera, de fait, un détournement d’argent public (y compris fédéral, avec les transferts aux états et municipalités) qui bénéficie à des projets d’investissement ne répondant pas à la notion d’intérêt public.

Le discours soulève une troisième question : il n’est pas clair, dans les propos de la Présidente, que la réponse aux « revendications légitimes » des rues supposera le transfert de revenus qui aujourd’hui, hier et avant-hier ont toujours été destinés aux grandes corporations, à travers des partenariats public-privé, ou d’autres modalités d’octroi de privilèges. En d’autres termes, il sera nécessaire, afin d’honorer les engagements pris, de faire payer l’addition à ceux qui se sont enrichis avec les investissements et subventions publics. La redéfinition des priorités proposée devra pénaliser ceux-là mêmes qui ont été les partenaires privilégiés de la coalition gouvernementale, à savoir les grands promoteurs et les grands spéculateurs, dont les noms et adresses sont bien connus : Oderbrecht, Camargo Correia, OAS, Carioca Engenharia, Eike Batista, Carvalho Hosken, parmi d’autres dans le club fermé de ceux qui gagnent les appels d’offre de tous les partenariats public-privé et les grands projets d’investissements. Les mêmes qui, comme il est rendu public et notoire, figurent avec les grands banquiers parmi les principaux financeurs des campagnes électorales. Jusqu’à quel point le gouvernement est disposé à pénaliser ses partenaires privés, ses associés principaux (jusqu’à hier) dans l’exercice du pouvoir et dans l’allocation des ressources publiques ?

Malgré ces silences et omissions, il y a d’importantes affirmations qui, si prises au sérieux, représenteraient une avancée notoire dans la position d’un gouvernement qui jusqu’à hier se montrait peu disposé à considérer sérieusement les revendications des mouvements, et en particulier des secteurs atteints par les projets liés à la Coupe du Monde et aux Jeux Olympiques.

Ceux qui hier sont descendus dans la rue ont donné un message clair à l’ensemble de la société, et surtout aux gouvernants de toutes les instances. Ce message venu directement de la rue appelle à plus de citoyenneté, à de meilleures écoles, à de meilleurs hôpitaux et permanences médicales, au droit de participation. Ce message venu directement de la rue montre l’exigence d’un transport de qualité et au prix juste. Ce message venu directement de la rue est pour le droit d’influer dans les décisions de tous les gouvernements, du législatif et du judiciaire.

A noter que, au contraire d’autres politiciens et analystes, la Présidente reconnaît qu’il ne s’agit pas uniquement de revendications sectorielles, matérielles, mais aussi d’un désir de « plus de citoyenneté » et « d’influer dans les décisions ». N’est-ce pas une façon, indirecte mais sans équivoque, de reconnaître que les droits citoyens et le droit démocratique d’influer dans les décisions n’ont pas été suffisamment garantis ? Ne doit-on pas le prendre comme une autocritique ? Quoi qu’il en soit, c’est une victoire de tous les secteurs et mouvements qui, au cours des dernières années, ont dit et répété la même chose, et ont lutté pour changer cette situation.

La Présidente a aussi affirmé que “les revendications des manifestants sont devenues une priorité nationale » et que « l’on doit profiter de la vigueur de ces manifestations pour produire plus de changements, changements qui seront au bénéfice de l’ensemble de la population brésilienne ». A nouveau une autocritique, car cela signifie reconnaître que les revendications populaires n’ont pas été une priorité nationale.

Or, si la première mandataire de la République s’adresse à la Nation de cette façon, et qu’il ne s’agit pas d’une mise en scène, il faut que tous les mouvements s’emparent de cette nouvelle priorité.

La Présidente va plus loin et annonce :

 ! « Je vais recevoir les leaders des manifestations pacifiques, les représentants des organisations de jeunesse, des organisations syndicales, des mouvements de travailleurs, des associations populaires. Nous avons besoin de leurs contributions, réflexions et expériences, de leur énergie et créativité, de leur pari sur l’avenir, de leur capacité à remettre en cause les erreurs du passé et du présent ».

Ici aussi il s’agit d’une autocritique, car annoncer qu’elle va recevoir est une façon de dire qu’elle n’a pas reçu.

Enfin, chose autant ou encore plus importante, la Présidente déclare solennellement : « C’est la citoyenneté et non le pouvoir économique qui doit être écoutée d’abord et avant tout ». Surprenante et très importante autocritique, car c’est la Présidente de la République, qui, d’une certaine manière, informe que c’est le pouvoir économique qui a été écouté d’abord. Cet engagement à changer de direction est une promesse qui doit être tenue.

Même s’il s’agissait d’une simple mise en scène, ce discours devrait être considéré comme un signal supplémentaire de la force du mouvement, d’une victoire politique incontestable. Mais il est possible de supposer que, dans une certaine mesure, la Présidente et le noyau dirigeant de la coalition gouvernementale se sont rendus compte des risques qu’ils prenaient en s’éloignant de façon aussi criante des volontés de tout un peuple.

#Prochaines étapes

Des textes comme celui-ci, écrits dans le feu de l’action, courent le risque, ou plutôt sont condamnés à devenir rapidement anachroniques. Il est plus facile d’expliquer le passé que d’explorer le futur, et encore plus lorsque des millions de personnes se mobilisent, faisant irruption du jour au lendemain sur la scène publique, et que de nouvelles possibilités historiques semblent s’offrir à tout un peuple.

L’histoire ne suit pas un rythme continu ni un trajet linéaire : elle accélère, s’entortille, ralentit, retourne en ligne droite. Lénine disait qu’« il y a des jours de l’histoire qui prennent des années à passer, et il y a des années de l’histoire qui s’écoulent en quelques jours ». Dans ces moments d’accélération, où tout semble possible, ceux qui cherchent la transformation sociale sont mis au défi de découvrir et explorer toutes les possibilités.

Les mouvements sont passés à l’offensive et sont en train de gagner du terrain. Pour combien de temps ? Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, actuellement, plus que jamais, il semble nécessaire de maintenir l’initiative, avancer et atteindre des conquêtes concrètes. Il faut profiter de la position défensive dans laquelle se trouvent les gouvernants et les intérêts dominants. Il faut transformer les gains culturels et politiques des rues en des conquêtes palpables, qui concrétisent les plateformes et revendications élaborées et présentées ces dernières années. Après des années de frustration, désespoir et désenchantement, alors que dominait, même parmi les militants les plus endurcis, le sentiment que les victoires n’étaient plus possibles et que la seule alternative était de s’adapter, de nouvelles perspectives s’ouvrent. Des victoires sont possibles, il faut les dessiner et les consolider.

Dans cette perspective, mettre à l’épreuve de façon sérieuse et cohérente les engagements publiquement assumés par la Présidente s’impose. Si elle a dit qu’elle va recevoir les représentants des mouvements et organisations, les MOUVEMENTS DOIVENT IMMEDIATEMENT SOLLICITER D’ETRE REÇUS AFIN DE PRESENTER LEURS REVENDICATIONS ET EXIGER DES REPONSES CONCRETES ET IMMEDIATES. La même chose doit être faite au niveau local et sectoriel. Il faut profiter de la conjoncture actuelle, expliciter les orientations nationales, et dans chaque ville, chaque quartier, chaque lieu de travail, expliciter et exiger que les revendications soient écoutées.

L’expérience de Juazeiro do Norte me semble être indicative de la voie à suivre au niveau local.

 ! « Le mouvement a embrassé la cause des professeurs et d’autres déficiences de la municipalité dans la gestion du maire actuel. Des manifestants se sont organisés à travers les réseaux sociaux et ont été dans la rue protester contre le maire : « Fora, Raimundão ! » [Dehors, Raimundão ! ndt]. Manifestation pour la démission du maire de Juazeiro do Norte, dans le Ceará. Sur le modèle des manifestations qui ont eu lieu dans différentes parties du Brésil, la population de Juazeiro do Norte, à 493,4 km de Fortaleza, est descendue dans la rue ce mardi après-midi, le 18 juin, afin de protester contre le maire de la ville, Raimundo Macêdo (PMDB), objet de critiques après avoir envoyé un message à la chambre des conseillers municipaux visant à réduire le salaire des professeurs des écoles publiques »

([a(http://www.hidrolandianoticias.com/2013/06/manifestacao-popular-pede-saida-de.html) www.hidrolandianoticias.com/2013/06/manifestacao-popular-pede-saida-de.html]).

L’articulation permanente des orientations nationales et englobantes, d’une part, et des actions locales plus concrètes et immédiatement réalisables d’autre part, nous indique la voie à suivre pour continuer la lutte politique plus générale, et simultanément, obtenir des conquêtes effectives. Ces conquêtes effectives sont indispensables pour défaire, une fois pour toutes, le scepticisme de beaucoup qui ne croient plus en la possibilité de changements réels. La suspension de l’augmentation des tarifs des transports a déjà démontré l’importance, dans le contexte actuel, de victoires partielles pour la consolidation, l’élargissement et surtout la politisation croissante des mouvements.

En d’autres moments historiques, ce rôle d’articulation était assumé par les partis politiques engagés dans la transformation sociale. Aujourd’hui, il semble n’y avoir aucun parti avec suffisamment de légitimité et capacité politique et organisationnelle pour conduire ce processus. Cela implique des aspects positifs et négatifs, qui ne rentrent pas dans notre discussion, d’ailleurs cela ne constitue pas un défi uniquement au Brésil mais dans tous les pays dans lesquels des secteurs expressifs de la société ont défié le pouvoir et le statu quo.

Les partis qui ont compris que, loin d’être de simples seconds, ils peuvent apporter une contribution importante au niveau de l’articulation politique, non seulement joueront un rôle important mais se qualifieront également pour de nouvelles et plus importantes fonctions. Mais, pour cela, il faut qu’ils reconnaissent clairement leurs limites, qu’ils abandonnent tout rêve d’hégémonie et se placent au service des mouvements.

Mouvements émergents, mouvements plus ou moins organisés ces derniers temps, partis politiques, groupes culturels en tout genre, voici le visage des multitudes qui sont dans la rue et exigent le changement. Les processus en cours indiquent qu’il est temps de se concentrer sur les engagements publics pris par la Présidente et les autres gouvernants. La Présidente Dilma Rousseff affirme que « la citoyenneté et non le pouvoir économique doit être entendue d’abord et avant tout ». La Présidente a assumé le mot d’ordre qui était, depuis toujours, celui des mouvements sociaux. Qu’elle soit la bienvenue et qu’elle s’unisse aux mouvements qui depuis toujours ont lutté pour que ce mot d’ordre devienne réalité. Comme le disaient beaucoup des slogans dans les manifestations : « nous nous excusons pour la gêne occasionnée, nous sommes en train de changer le pays ». Soudainement, cela semble possible. Nous ne devons pas écarter cette possibilité, qui surgit peu de fois dans l’histoire d’une génération.

Un autre Brésil est possible, il est peut-être en train de naître.

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