L’éléphant à Paris – gaz à effet de serre et activités militaires

, par  Buxton Nick

Le document à la base des négociations pour le climat qui vont se tenir à Paris fin novembre ne manque pas de mots, 32.731 si on veut être précis… Pourtant, un terme n’y figure jamais, celui d’activités militaires. C’est une omission étrange si on veut bien se rappeler que l’armée militaire Etatsunienne est à elle seule la plus grande consommatrice de pétrole de la planète et a été le principal moteur du secteur pétrolier mondial depuis des décennies.

L’histoire de la manière dont les activités militaires ont disparu des registres de compte des émissions carbone remonte aux négociations du Protocole de Kyoto en 1997. Sous la pression des généraux et des faucons de la politique étrangère étatsunienne, opposés à toute restriction potentielle de leur puissance militaire, l’équipe de négociateurs des Etats Unis a réussi à s’assurer que les activités militaires seraient exemptes des exigences en matière de réduction des émissions. Même si les Etats Unis n’ont finalement pas ratifié le Protocole de Kyoto, cette exemption est valable pour tout Etat signataire. Encore aujourd’hui, le rapport que les pays doivent faire à l’ONU concernant les émissions exclut tout le carburant acheté et utilisé dans des interventions extérieures.

Il est donc encore difficile de mesurer la responsabilité exacte des forces militaires mondiales dans l’émission des gaz à effet de serre. Un rapport du Congrès indiquait en 2012 que le département de la Défense avait consommé 117 millions de barils de pétrole en 2011, un petit peu moins que tout l’essence et le gasoil par l’ensemble des voitures britanniques la même année. Déployer tout ce pétrole autour de la planète pour alimenter les Hummers gourmands en carburants, les avions et les drones est devenu une préoccupation croissante des stratèges militaires de l’OTAN.

Mais la responsabilité des militaires dans la crise climatique va beaucoup plus loin que leur propre utilisation des énergies fossiles. Comme nous l’avons observé en Irak, les militaires, les industriels de l’armement et leurs soutiens politiques puissants n’ont eu de cesse de s’appuyer sur (et de pousser à) des interventions militaires pour sécuriser les approvisionnements en pétrole et en énergie. L’armée n’est pas seulement un gros consommateur de pétrole, elle est un des piliers centraux de l’économie globale des hydrocarbures. Aujourd’hui, que ce soit au Moyen Orient dans le Golfe ou dans le Pacifique, le déploiement militaire sert à contrôler les régions riches en pétrole et à défendre les routes d’approvisionnement qui transportent la moitié du pétrole mondial et soutiennent notre société de consommation.

L’expansion des conflits résultant de cette situation a favorisé l’accroissement des budgets militaires : en 2014 la dépense militaire globale s’élevait à 1.8 trillion de dollars. Cet argent est un détournement considérable des fonds publics qui auraient pu être utilisés à développer des énergies renouvelables ou à soutenir les populations déjà touchées par le changement climatique. Lorsque le gouvernement britannique attribue 25 milliards de livres au ministère de la Défense et seulement 1,5 au ministère de l’énergie et du changement climatique, on voit où sont les priorités.

Ironiquement, malgré leur rôle dans la crise climatique, des voix parmi les plus fortes s’élèvent aujourd’hui au sein de l’armée. Le Contre-amiral Morisetti est représentatif d’un ensemble de voix qui montent parmi les généraux pour identifier le changement climatique comme l’une des menaces de sécurité majeure de ce siècle. Il appelle justement à agir sur la question du changement climatique qui constitue un « facteur multiplicateur », capable d’exacerber le nœud du « terrorisme développemental ». Ces arguments ont déjà été repris par les hommes politiques qui parlent de plus en plus des implications sécuritaires du changement climatique.

Cela pourrait être une bonne nouvelle car après tout qui ne voudrait pas voir de son côté les représentant d’une puissance considérable pour relever le plus grand défi jamais posé à l’humanité ? Mais en réalité, mieux vaut y regarder à deux fois avant de se précipiter dans le même lit… un regard approfondi sur les stratégies militaires liées au changement climatique montre qu’elles s’intéressent à la sécurisation des frontières, la protection des routes commerciales, à la surveillance des conflits potentiels autour des ressources et de l’instabilité du climat, et à la répression des mobilisations sociales. Ils font des victimes du changement climatique des « menaces » qui doivent être contrôlées ou combattues. Il n’y a pas d’analyse critique du propre rôle de l’armée dans le renforcement d’une économie dominée par les grands industriels du secteur des hydrocarbures, elle-même responsable du changement climatique.

En réalité, on peut montrer que de nombreux acteurs de ce nœud industrialo-militaro-sécuritaire ont déjà compris qu’il fallait voir le changement climatique non seulement comme une menace mais aussi comme une opportunité. Les secteurs de l’armement et de la sécurité prospèrent sur le conflit et l’insécurité et le changement climatique est une nouvelle aubaine à rajouter à la Guerre contre le terrorisme déjà en cours. Le géant britannique du secteur BAE Systems n’a pas hésité à déclarer ouvertement dans un de ses rapports annuels, que « les nouvelles menaces et les nouveaux conflits posent des défis sans précédent aux forces militaires et sont pour BAE Systems autant de nouvelles opportunités ». Une conférence sur la défense et la sécurité environnementale (E2DS) tenue en 2011 proclamait allégrement que « le secteur de l’aéronautique de la défense et de la sécurité se tient prêt pour répondre à l’émergence de ce qui est en train de devenir son marché secondaire le plus important depuis l’émergence du secteur de la sécurité intérieure il y a une décennie »

A la suite des dramatiques tueries de Paris, la réponse militaire revient à nouveau au centre de la scène. Il semble que l’absence de preuve d’un quelconque succès en 14 ans de bombardements, meurtres par drones, invasions armées ne constitue en rien un obstacle à la machine militaro sécuritaire . Voulons-nous vraiment que les mêmes forces pour dominer notre réponse aux défis du changement climatique qui va affecter la vie de millions de personnes au cours des prochaines décennies ? Un nombre croissant de mouvements sociaux affirme que le changement climatique exige une rupture dans le cycle de la violence pour que l’on puisse construire une réponse collective à une crise qui nous affecte tous. Les discussions de Paris autour du climat sont une occasion d’attirer l’attention sur « l’éléphant » militaire qui se trouve dans la pièce et doivent exiger que l’adaptation au changement climatique soit guidée par les principes des droits humains et de la solidarité, plutôt que par ceux du profit et du militarisme.

Nick Buxton
Consultant pour le Transnational Institute TNI

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