Les nombreuses questions de la Déclaration Balfour

, par  Joseph Massad, The Electronic Intifada

Dans leur tentative de nettoyer l’Europe nouvellement inventée de tout ce qui n’était pas chrétien et par conséquent occidental, les Européens éclairés inventèrent à la fin du XVIIIe siècle ce qu’ils appelèrent « la Question d’Orient » et sa question subsidiaire, « la Question juive ».

Ces deux questions allaient devenir centrales pour les objectifs impériaux européens de faire voler en éclats l’Empire ottoman et de prendre le contrôle de ses territoires. Au début du XXe siècle, alors que la Première Guerre mondiale touchait à sa fin, ces Européens éclairés choisirent de résoudre les deux questions en les transmutant à travers le colonialisme de peuplement dans ce qu’ils appelèrent la « Question de Palestine ».

La Question d’Orient

La Question orientale était celle du débordement de l’Orient sur l’Occident, ce qui posait la question de l’Empire ottoman qu’il fallait vaincre. Sa défaite est finalement arrivée avec la fin de la Première Guerre mondiale, et avec elle, l’Occident résolut la Question d’Orient.

Quant à la Question juive, elle était liée à la persistance de l’Orient au sein de l’Occident, ce que les Européens, éclairés et non éclairés, trouvaient intolérable. Il est vrai que tant le judaïsme que le christianisme sont des religions palestiniennes. C’est aussi un fait historique établi que les habitants de ce qui fut appelé plus tard « l’Europe », qu’ils soient chrétiens ou juifs, se sont convertis à ces religions palestiniennes des siècles après les Palestiniens.

Il est également vrai que ces nouveaux chrétiens de ce qui allait devenir l’Europe ne se considéraient pas comme des descendants directs des chrétiens palestiniens antiques qui parlaient l’araméen, mais se voyaient à juste titre comme des convertis plus récents de cette religion palestinienne.

Pourtant, ces mêmes chrétiens convertis insistèrent souvent sur le fait que les convertis au judaïsme dans ce qui allait devenir l’Europe étaient en quelque sorte des descendants des Hébreux palestiniens antiques qui eux aussi parlaient l’araméen à l’époque de ce que l’on a appelé l’expulsion romaine du premier siècle.

C’était important parce que ces convertis au christianisme accusèrent les convertis au judaïsme de tuer le Christ palestinien. Plus tard encore, ni les orthodoxes ni les chrétiens catholiques ne pensèrent jamais à expulser ces juifs de Palestine. De même que les convertis au judaïsme ne cherchèrent jamais à émigrer de façon massive hors de leurs pays vers la Palestine.

Alors que les convertis au christianisme réfléchissaient à la géographie d’où provenait la foi à laquelle ils s’étaient convertis, ils décidèrent que cela relevait de leur compétence. Ceci fut l’origine du premier sionisme chrétien européen, connu sous le nom de Croisades. Les protestants, les chrétiens fondamentalistes de la Renaissance, devinrent obsédés par les juifs européens, les voyant à nouveau non comme des convertis locaux au judaïsme, mais comme étant toujours liés à la Palestine antique, et ils commencèrent à réclamer ce qu’ils appelèrent leur « retour » en Terre sainte, dans le cadre du projet millénaire pour accélérer la deuxième venue du Christ. Les juifs européens résistèrent, et avec leurs coreligionnaires américains, ils résistent encore à ces appels à une auto-expulsion hors de l’Europe et des États-Unis vers une terre lointaine asiatique.

La Question juive

C’est dans ce contexte que les Européens éclairés posèrent ce qu’ils appelèrent à la fin du XVIIIe siècle « la Question juive », comme étant la question des Asiatiques orientaux étrangers qui vivaient en Europe occidentale. Napoléon avait demandé aux juifs français de veiller à ne pas pratiquer le judaïsme oriental, qui permettait aux hommes de se marier avec plus d’une épouse, avant de les accepter comme citoyens dans la France post-révolutionnaire. Une délégation de juifs français l’assura que les juifs ashkénazes européens interdisaient de telles hérésies non chrétiennes au XIIe siècle et qu’ils étaient donc pratiquement des chrétiens.

Des foules de juifs d’Europe de l’Ouest se hâtèrent de se convertir officiellement au christianisme au XIXe siècle ou de créer une nouvelle forme de judaïsme qu’ils appelèrent le judaïsme réformé, un judaïsme qui ressemblait tellement au christianisme qu’on pouvait presque les confondre – presque !

Mais cela ne suffit pas ; au milieu du XIXe siècle, avec la montée des sciences biologiques et raciales, la Question juive ne concerna plus une population qui avait été déseuropéanisée et asiatisée dans ses origines, mais une population pour son caractère racialement étranger et inférieur.

Cela se déroula à l’époque des nationalismes européens qui souvent se basaient sur une langue et un territoire communs mais de plus en plus sur le fantasme d’une race commune. D’abord exprimer par des philologues européens dans la fin du XVIIIe siècle, la différence entre ce qu’ils appelèrent les langues indo-européennes ou aryennes et les langues sémitiques se transforma au milieu du XIXe siècle en une question raciale biologique.

Peu importait le fait que les juifs européens ne parlaient pas une langue sémitique ; le prétexte fallacieux selon lequel ils descendaient des hébreux antiques suffisait. Le fait que les chrétiens palestiniens antiques, comme les juifs palestiniens antiques, parlaient l’araméen, langue qui est maintenant désignée comme une langue sémitique, ne faisait pas d’eux des « sémites » chrétiens européens. Ils étaient résolument des Indo-européens, et les plus chanceux d’entre eux, de purs Aryens.

La réponse juive

La réponse des juifs européens à ces développements varia et prit la forme de quatre réponses organisées qui rivalisaient avec une autre pour le soutien des juifs aussi bien que des chrétiens.

Le groupe le moins puissant, qui éveilla l’hostilité de la majorité des juifs, était les sionistes. Créé au congrès d’août 1897, ce groupe décida de s’allier consciemment avec les antisémites, les protestants millénaires, et les impérialistes, et il adopta un nationalisme juif radicalisé qui rejoignit les nationalismes européens radicalisés dans leur mission coloniale.

Son fondateur, Theodore Herzl, ne mâcha pas ses mots quand il déclara que « les antisémites deviendront nos amis les plus sûrs, les pays antisémites nos alliés ». Les sionistes croyaient que les juifs étaient une race et une nation à part, et que tous les juifs devaient se joindre au projet colonial national sioniste.

Le deuxième groupe était engagé dans le socialisme, et comprenait des juifs qui avaient rejoint des partis socialistes et l’Union générale des travailleurs juifs en Lituanie, Pologne et Russie, connue sous le nom de Bund. Le Bund fut fondé quelques semaines après le premier Congrès sioniste, en octobre 1897. Contrairement aux sionistes, les bundistes, et tous les autres juifs socialistes, s’allièrent avec les ennemis de l’antisémitisme, et les ennemis de l’impérialisme et du nationalisme racialisé. Ils voyaient dans les sionistes des ennemis de droite contre les juifs et le communisme.

Le troisième groupe était principalement composé des juifs assimilés d’Europe occidentale et des États-Unis, qui croyaient que leur assimilation et leur judaïsme réformé les rendraient inséparables de leurs pays spécifiques où ils résidaient et de leurs nationalismes. Ainsi les juifs allemands, les juifs britanniques, les juifs français et les juifs américains se considéraient comme des Allemands, Britanniques, Français et Américains, comme c’est le cas de la plupart d’entre eux encore aujourd’hui. Ils combattirent aussi les sionistes comme mettant en danger leur statut dans leur propre pays.

Le quatrième groupe était les juifs orthodoxes qui, dans leur majorité, s’opposaient au sionisme pour des raisons religieuses, et le voyaient comme une dangereuse hérésie anti-juive. Les juifs réformés assimilés et les juifs orthodoxes d’Allemagne se rallièrent et interdirent à Herzl de convoquer le premier congrès sionistes à Munich, et ils l’obligèrent à le déplacer dans la ville voisine de Bâle en Suisse.

Les sionistes tentèrent de trouver des alliés chez les juifs assimilés durant la Première Guerre mondiale (avec plus de succès aux États-Unis qu’en Europe) et chez les orthodoxes (dans le cas de ces derniers, ils ne réussirent qu’à réunir un seul groupe de juifs ashkénazes orthodoxes, qui s’appelaient eux-mêmes le mouvement mizrahi pour se joindre à eux).

C’est sous le couvert de l’anticommunisme cependant, et en épousant les idées antisémites à propos du caractère étranger des juifs et de leur radicalisation, de même que de leur soutien à l’impérialisme, qu’ils purent trouver des alliés plus forts parmi les puissances coloniales chrétiennes européennes.

Herzl s’assura de contacter tous les gouvernements européens qui possédaient des colonies et des territoires asiatiques et africains, ou qui étaient susceptibles d’en acquérir bientôt (notamment l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, le Portugal, la Grande-Bretagne, la Russie), aussi bien que les Ottomans pour s’en faire des alliés et des soutiens pour son projet d’envoyer les juifs européens en Palestine. Sa stratégie lui demanda un certain temps, mais ce seront ses collègues de l’organisation sioniste mondiale qui allaient tirer les fruits de ces liens. Les successeurs de Herzl seront en mesure d’obtenir un sponsor colonial à l’occasion de la première catastrophe mondiale du XXe siècle, à savoir pendant la Première Guerre mondiale.

La pré-histoire de la Déclaration Balfour

Mais l’histoire commence au tournant du siècle. C’est l’allié impérialiste britannique d’alors de Herzl qui jeta les bases de la Déclaration Balfour, à savoir le secrétaire aux Colonies, Joseph Chamberlain.

Comme Regina Sharif l’explique dans son important livre de 1983, Le Sionisme non-juif, Chamberlain était un impérialiste, un sioniste protestant, et un enthousiaste de la première heure à soutenir le sionisme juif. En tant qu’antisémite connu, il n’était pas seulement motivé par son protestantisme, mais aussi par les finances et l’argent qui pourraient aider l’impérialisme britannique et que, selon lui, et conformément à ses opinions antisémites, « les juifs » possédaient.

Durant le quatrième congrès sioniste, tenu à Londres en 1900, Herzl avait déjà posé comme postulat que la Grande-Bretagne serait la clé du mouvement sioniste. Il déclara que « de cet endroit, le mouvement sioniste s’envolera de plus en plus haut… L’Angleterre la grande… avec ses yeux sur les sept mers nous comprendra ».

Alors que les juifs d’Europe de l’Est fuyaient les pogroms anti-juifs vers l’Europe de l’Ouest, notamment la Grande-Bretagne, et vers les États-Unis, les dirigeants britanniques, qui s’opposaient à leur admission en Grande-Bretagne, mirent sur pied une commission afin de traiter du problème. Herzl fut invité en 1912 à témoigner devant la Commission royale sur l’immigration des étrangers.

Aux 175 témoins de la commission, il proposa une solution au problème, à savoir, « détourner le flux de la migration… venant de l’Europe de l’Est. Les juifs de l’Europe de l’Est ne peuvent pas rester où ils sont – où vont-ils ? Si vous constatez qu’on n’en veut pas là, alors il faut trouver un endroit où ils peuvent émigrer sans que la migration ne soulève les problèmes auxquels ils sont confrontés ici. Ces problèmes ne se poseront pas si on leur trouve un foyer qui sera légalement reconnu comme étant juif ».

C’est ce témoignage qui impressionna Nathaniel Rothschild, le premier Lord Rothschild, qui était membre de la Commission royale en tant que représentant juif, et qui avait été jusqu’alors hostile à Herzl et au sionisme. (Ce serait son fils Lionel, deuxième Lord Rothschild, à qui la Déclaration Balfour serait adressée).

La colonisation sioniste de la Palestine permettrait d’éviter d’avoir à faire face aux immigrants juifs venant en Grande-Bretagne. L’antisémite et sioniste chrétien Chamberlain rencontrerait bientôt Herzl pour organiser comment l’impérialisme britannique et le sioniste protestant peuvent aider le sionisme juif à se débarrasser du problème juif de la Grande-Bretagne.

L’antisémitisme sioniste de Balfour

C’est dans l’optique de cet objectif commun que Chamberlain offrit dès 1902 la Péninsule égyptienne de l’Égypte et El-Arish, que la Grande-Bretagne contrôlait, à Herzl comme foyer pour les juifs, et que peu après il proposa l’Afrique de l’Est britannique, l’Ouganda, pour la colonisation juive et l’établissement d’un foyer juif.
Chamberlain vraisemblablement s’opposa à l’immigration juive vers la Grande-Bretagne, et avec les sionistes il y avait d’autres destinations possibles pour les juifs d’Europe de l’Est qui fuyaient les pogroms russes. Cela ne reposait pas seulement sur son sionisme protestant mais aussi sur les plans impériaux britanniques au Sinaï et la protection du Canal de Suez.

Quand le Premier ministre britannique Arthur Balfour, sioniste protestant ardent, fit passer la Loi de 1905 relative aux étrangers (Aliens Act) par la Chambre des communes pour interdire l’immigration juive de l’Europe de l’Est, la préoccupation de Balfour était de sauver le pays de ce qu’il appelait « les maux indubitables » d’ « une immigration qui était en grande partie juive ». Comme Chamberlain, le sioniste chrétien et antisémite Balfour avait à l’esprit une autre destination coloniale pour les immigrants juifs.

Alors que le sixième congrès sioniste rejetait la proposition Ouganda, ce sera le septième congrès sioniste réuni à Bâle en 1905 qui l’écartera définitivement. En raison de la loi sur les étrangers, le septième congrès condamna Balfour comme « antisémite », et il déclara que son opinion équivalait à un « antisémitisme ouvert contre l’ensemble du peuple juif ». Mais en même temps, le congrès remerciait le gouvernement britannique, dirigé par Balfour, pour son offre pro-sioniste de l’Ouganda. Le congrès enregistrait « avec satisfaction la reconnaissance que le gouvernement britannique accordait à l’organisation sioniste dans son désir d’apporter une solution au problème juif, et il exprima l’espoir sincère que d’autres bons offices lui seront accordés par le gouvernement britannique si cela lui était possible dans toute affaire qu’il pourrait entreprendre en accord avec le programme de Bâle » pour coloniser la Palestine.

Chamberlain et Balfour croyaient l’un et l’autre dans la supériorité et les vertus uniques de la race anglo-saxonne. Balfour, à l’instar des sionistes juifs, croyait que les juifs étaient « un peuple à part, et non pas simplement une religion différente de la grande majorité de leurs compatriotes ».

Ce n’est qu’en 1914 qu’il déclara à son ami Chaim Weizmann qu’il partageait un grand nombre des idées antisémites sur les juifs allemands défendues par Cosima Wagner, l’épouse du célèbre compositeur antisémite Richard Wagner. À l’époque, Weizmann était occupé à vendre au Premier ministre sioniste protestant Lloyd George l’idée sioniste juive.

À partir de 1914, les sionistes, en la personne du politicien juif britannique Herbert Samuel, arguèrent qu’une fois la Question orientale résolue avec la disparition de l’Empire ottoman, les colons juifs combleraient le vide en Palestine et ce, dans l’intérêt des objectifs impériaux britanniques, protégeant le pays contre l’emprise des rivaux impérialistes des Britanniques, les Français, ou pire, les Allemands.

Samuel, dont les efforts étaient essentiels pour obtenir le soutien britannique au sionisme juif, allait devenir le premier haut-commissaire de Palestine en juillet 1920.

La Question communiste

À mesure que la Question orientale se résolvait, cependant, une nouvelle question prenait rapidement sa place comme une menace pour les intérêts impérialistes européens, à savoir, celle du communisme.

Le spectre du communisme, comme Marx l’avait prédit, avait hanté l’Europe pendant un demi-siècle, et l’assaut contre la Commune de Paris en 1871, couronné de succès, n’enlevait rien à la menace grandissante.

Mais l’expression « antisémite », inventée en 1879 pour distinguer les juifs des Aryens sur le plan racial et non sur le plan religieux, fut bientôt associée à l’anticommunisme. Tandis que les sionistes complotaient avec les antisémites sur l’endroit où les juifs européens devaient être transférés en Asie, Afrique ou Amérique latine, les socialistes européens – juifs comme chrétiens – travaillaient pour mettre fin aux régimes tyranniques et antisémites, et libérer les peuples de leur joug.

L’association des juifs avec le communisme était attendue par les antisémites. Commençant avec les origines juives de Marx, la théorie du complot voulut que le communisme à travers l’Europe, et spécialement le bolchévisme, fasse partie d’une conspiration juive pour mettre fin à la « civilisation occidentale ». C’est alors que les communistes russes (dont le Bund juif) gagnaient de plus en plus de terrain après la révolution de février 1917 qui amena Alexander Kerensky au pouvoir, et alors que les troupes britanniques s’approchaient de la Palestine, que Balfour fit sa déclaration infâme.

Que le sionisme protestant de Lloyd George et de Balfour, qui redevint secrétaire aux Affaires étrangères de 1916 à 1919, soit tout à fait compatible avec l’impérialisme britannique fut plus que fortuit. Mais le moment où la Déclaration Balfour, contenant l’engagement britannique pour Lord Rothschild et les sionistes, fut publiée, à savoir seulement cinq jours avant le triomphe de la Révolution d’octobre en Russie, peut difficilement être un hasard.

Le triomphe des communistes russes, juifs aussi bien que chrétiens, qui étaient l’ennemi de l’antisémitisme et du sionisme, signifiait que les juifs d’Europe de l’Est n’avaient plus aucune raison d’émigrer, ce qui mettait en péril les projets impérialistes et sionistes britanniques pour la Palestine. En s’engageant à aider à l’obtention d’un « foyer national » pour le peuple juif en Palestine, les Britanniques offraient un autre lieu pour les juifs d’Europe de l’Est et les incitaient à ne pas soutenir les communistes.

L’antisémitisme sioniste de Churchill

Si l’affirmation antisémite selon laquelle le communisme et le bolchevisme étaient des « complots juifs » est souvent attribuée aux nazis qui l’avaient importée de la propagande des Russes blancs, vers l’Europe occidentale, ce n’est en réalité personne d’autre que Winston Churchill qui fut le premier à présenter clairement les enjeux du communisme comme un « complot juif » visant à s’emparer du monde, contre le sionisme dans sa collusion avec l’impérialisme, et qui offrait une solution impériale au « problème juif ».

Dans un article qu’il a publié dans le Sunday Herald en février 1920, Churchill exprime son soutien pour les juifs assimilés qui s’identifient à leur pays de citoyenneté, mais il les considère comme étant en dehors de l’équation de pouvoir qu’il voulait expliquer, à savoir celle entre sionisme et communisme.
Il commence par y dénigrer ce qu’il appelle « les juifs internationaux » et identifie comme « un complot juif mondial pour le renversement de la civilisation » :

« Le fait que dans de nombreux cas, les intérêts juifs et les lieux de culte juifs soient exclus par les bolchéviques de leur hostilité universelle avait tendance de plus en plus à associer la race juive en Russie aux infamies qui sont maintenant en train de se perpétrer… Il devient, par conséquent, particulièrement important de favoriser et développer tout mouvement juif fortement marqué ce qui éloigne directement ces associations funestes. Et c’est là que le sionisme a une importance si profonde pour l’ensemble du monde à l’heure actuelle… Le sionisme offre la troisième sphère aux conceptions politiques de la race juive. En contraste violent avec le communisme international, il offre au juif une idée nationale d’un caractère dominant. Il incombe au gouvernement britannique, à la suite de la conquête de la Palestine, d’avoir la possibilité et la responsabilité d’assurer à la race juive du monde entier un foyer et un centre de vie nationale. La qualité d’homme d’État et le sens historique de Mr Balfour l’ont poussé à saisir cette opportunité. Les déclarations qui ont été faites ont, de façon irrévocable, décidé de la politique de la Grande-Bretagne. »

Churchill conclut finalement que :

« Le sionisme est déjà devenu un facteur dans les convulsions politiques de la Russie, en tant qu’influence rivale puissante dans les cercles bolchéviques avec le système communiste international. Rien ne pourrait être plus significatif que la violence avec laquelle Trotsky s’en est pris aux sionistes en général, et au Dr (Weizmann) en particulier. La pénétration cruelle de son esprit l’a convaincu sans aucun doute que ses projets pour un État communiste d’envergure mondiale sous une domination juive étaient directement contrecarrés et entravés par ce nouvel idéal, lequel oriente les énergies et les espoirs des juifs de tous les pays vers un objectif plus simple, plus vrai, et beaucoup accessible. La lutte qui commence entre juifs sionistes et juifs bolchéviques n’est guère moins qu’une lutte pour l’âme du peuple juif. »

L’hostilité du sionisme envers les juifs communistes allait devenir une longue tradition. Lorsque l’antisémitisme américain officiel prit pour cibles les communistes juifs en tant qu’espions soviétiques, et jugea et exécuta Julius et Ethel Rosenberg en 1953 sur des éléments de preuve peu convaincants, Israël ne dit pas un mot pour protester. (Les rabbins israéliens, à l’exception du grand rabbin ashkénaze d’Israël, adressèrent un appel à la clémence au Président Truman pour les Rosenberg, pendant que certains d’entre eux exprimèrent publiquement leur regret de l’avoir signé).

Lorsque les fascistes hongrois et les hitlériens furent introduits clandestinement dans Budapest depuis la frontière autrichienne, par la CIA, durant le régime d’Imre Nagy, et qu’ils commencèrent à massacrer les juifs communistes hongrois et les juifs hongrois en tant que « communistes » en 1956, Israël et les autres juifs sionistes restèrent silencieux, et ils le restent encore aujourd’hui. Même quand les juifs de gauche furent pris pour cibles par les généraux antisémites en Argentine à la fin des années 1970, les juifs sionistes argentins et Israël les désavouèrent, et Israël conserva son alliance étroite avec le régime militaire.

L’explication de Churchill clarifie les liens entre le sionisme protestant et juif, entre le nationalisme raciste et le communisme antiraciste, et entre le colonialisme de peuplement sioniste et l’anti-impérialisme communiste. Le racisme impérial partagé par les Britanniques et le mouvement sioniste envers les Palestiniens et les autres Asiatiques et Africains rendait leur présence sur les terres, sans parler de leur opposition et résistance au colonialisme de peuplement, sans importance.

Balfour lui-même insista sur le fait que « le sionisme, qu’il soit bien ou mal, bon ou mauvais, est enraciné dans des traditions ancestrales, dans des nécessités présentes, dans des espoirs futurs bien plus importants que les désirs et les préjugés de 700 000 Arabes qui habitent à présent sur cette terre antique ».

Il fut laissé à Lord Sydenham, député conservateur britannique, le soin de s’identifier aux Palestiniens contre le sionisme : « les juifs » dit-il, « n’ont pas plus de droit sur la Palestine que les descendants des Romains antiques n’en avaient sur ce pays ».

L’histoire du siècle dernier du colonialisme sioniste et de la colonisation de la Palestine que les Britanniques ont parrainée et continuent de parrainer, et de la résistance palestinienne qu’elle a soulevée, est toujours d’actualité. Les premières manifestations et oppositions palestiniennes contre le vol de leur pays et de leurs terres par des convertis européens au judaïsme, facilité par des convertis européens au christianisme, furent écartées d’emblée comme dénuées de fondement.

Lors de ses réunions avec le gouvernement britannique en 1923, Herbert Samuel insista sur le fait que l’opposition arabe au sionisme reposait sur une incompréhension à propos de ses objectifs et que les dirigeants sionistes responsables n’avaient aucunement l’intention de confisquer les terres arabes ou d’inonder le pays avec des immigrants juifs. Tout ce que les Palestiniens craignaient et ce à quoi ils s’attendaient s’est réalisé, mais pas tout ce à quoi les sionistes chrétiens et juifs s’attendaient. Les Palestiniens n’ont pas cédé et ils continuent de lutter contre le colonialisme et le racisme sionistes encore aujourd’hui.

Israël a tué plus de 100 000 Palestiniens et Arabes depuis 1948, des milliers d’autres ont été tués par les Britanniques et les sionistes entre 1917 et 1948. Israël a expulsé la moitié de la population de la Palestine historique, et qui vit toujours en exil tandis que l’autre moitié vit sous différentes lois et règlements racistes et coloniaux en Israël, en Cisjordanie et à Gaza.

La majorité des juifs dans le monde d’aujourd’hui vivent dans leurs pays d’origine et refusent de se rendre en Israël. Il s’agit notamment de la majorité des juifs états-uniens, des juifs latino-américains, des juifs français, des juifs russes et des juifs britanniques, entre autres.

Lorsque la Déclaration Balfour fut publiée en 1917, une majorité de juifs britanniques de premier plan s’y opposèrent. Quand le gouvernement US l’approuva peu après sa publication, 300 éminentes personnalités juives états-uniennes, dont des membres du Congrès, des rabbins et des hommes d’affaires, signèrent une pétition contre la Déclaration. Cette opposition juive resta forte jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Si le mouvement sioniste et Israël furent en mesure, après l’holocauste nazi et 1948, d’extraire la communauté juive mondiale de son ancienne opposition au sionisme, ils ne réussirent pas à en convaincre une majorité de quitter leurs pays et d’y venir en Israël. La majorité des juifs qui s’y sont rendus n’y sont pas venus par engagement idéologique, mais pour fuir une oppression, et ils refusèrent toute autre destination (dans le cas des juifs arabes, Israël organisa des attaques contre eux, comme ce fut le cas par le Mossad en Iraq, pour stimuler leur émigration). Pourtant, l’oppression coloniale d’Israël du peuple palestinien et le vol de leurs terres se poursuivent rapidement.

Les crimes des Britanniques continuent

Pendant ce temps, la Question orientale, la Question juive et la menace communiste ont toutes été transmutées en la Question Palestine, laquelle persiste contre toute attente sous la forme du colonialisme de peuplement sioniste. Tous les efforts pour vaincre le peuple palestinien par la Grande-Bretagne, Israël, la France, l’Allemagne et les États-Unis (sans parler des pays arabes), tous ont échoué au cours du siècle dernier.

La célébration par le gouvernement britannique du centenaire de la Déclaration Balfour est en réalité une expression de la fierté de l’héritage colonial antisémite, anticommuniste et raciste de la Grande-Bretagne, que le gouvernement britannique tient à perpétuer sur la terre des Palestiniens et sur le peuple palestinien.

La Premier ministre Theresa May a déclaré récemment : « Nous sommes fiers du rôle que nous avons joué dans la création de l’État d’Israël, et nous célèbrerons certainement le centenaire avec fierté ». Comme Balfour avant elle, May refuse de nommer les Palestiniens. Si la Déclaration Balfour se réfère aux Palestiniens en tant que « communautés non juives en Palestine », May concède seulement que « nous devons aussi être conscients des sensibilités que certaines personnes ont à l’égard de la Déclaration Balfour, et nous reconnaissons qu’il y a encore beaucoup à faire » (soulignement ajouté).

L’Autorité palestinienne collaborationniste a menacé de poursuivre la Grande-Bretagne pour sa célébration du centenaire, à moins que cette dernière n’exprime une simple « excuse » au peuple palestinien pour avoir publié la Déclaration Balfour en premier lieu. Une telle servilité ne peut s’attendre que de la part d’une autorité dont le seul rôle fut de réprimer la résistance palestinienne au colonialisme israélien, et qui travailla assidûment au cours du dernier quart de siècle pour réprimer les droits politiques et nationaux du peuple palestinien.

Mais un siècle plus tard, le colonialisme sioniste n’est pas plus sûr qu’il ne l’a jamais été et il manque du sens de la permanence aujourd’hui, comme ce fut le cas en 1917. Que la Grande-Bretagne officielle, comme la « fierté » de May le démontre, fut et reste un ennemi implacable du peuple palestinien n’est pas contestable. Quant à ce qu’il reste « beaucoup à faire », il est nécessaire et urgent que la Grande-Bretagne soit traduite devant les tribunaux, non seulement pour avoir publié une déclaration infâme, mais aussi pour tous ses crimes passés et présents contre le peuple palestinien.

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Traduction JPP pour l’Agence Media Palestine et pour l’AURDIP

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