Dossier : Dette climatique/écologique

, par  Echanges et Partenariats, Lisa B
IssamBarhoumi, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/license...> via Wikimedia Commons

Lors de la COP27, en novembre 2022, un accord a été trouvé pour la mise en place d’un mécanisme de “pertes et dommages”. Les pays les plus vulnérables aux catastrophes climatiques dues au changement climatique, pourront finalement, après de longues années de réclamations, bénéficier d’un fonds mis à disposition par les pays les plus pollueurs [1]. Mais cette décision ne représente qu’un petit pas face à l’ampleur de la dette écologique, et le chemin qu’il reste à parcourir pour la justice climatique est long. Le CADTM (Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes) définit la dette écologique, parfois appelée dette climatique, ainsi : “La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.” [2] Elle trouve son origine à l’époque coloniale et a augmenté depuis.

On peut la décomposer en quatre activités : la “dette du carbone” qui est accumulée suite à la pollution atmosphérique due aux émissions de gaz à effet de serre, la “biopiraterie”, qui consiste en “l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés”, les “passifs environnementaux”, c’est-à-dire la dette qui est due à “l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles”, et enfin “l’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels” [3]. La dette écologique est difficilement quantifiable car il est compliqué d’attacher une valeur monétaire à des ressources issues de la nature. Cela peut également ne pas être souhaitable [4].

Dette écologique et dette financière extérieure sont étroitement liées. Les pays endettés sont mis sous pression par leurs créanciers pour rembourser leur dette, ce qu’ils ne peuvent faire, dans des délais aussi serrés, qu’au détriment des droits de leurs populations et de la nature.
Pourquoi la dette écologique se révèle-t-elle être un concept clé pour comprendre le contexte actuel global et urgent de lutte contre le réchauffement climatique ? Comment peut-elle proposer des solutions durables et justes pour lutter contre le réchauffement climatique et protéger les populations et la planète de ses conséquences ?

I – Le concept de dette écologique : définition et histoire
II – Les impacts de la dette écologique sur les peuples
III – Dette financière et dette climatique
IV – Vers une remise en question du Nord ?
V – Mouvements sociaux et mobilisations autour de la dette climatique


I - Le concept de dette écologique : définition et histoire

Concept de dette écologique

Au fait, c’est quoi, la dette écologique ? Reporterre, 27 mars 2012

En opposant schématiquement pays du Nord et du Sud, on peut affirmer que le développement industriel du Nord a en partie reposé sur l’exploitation des ressources naturelles du Sud. Le Nord s’est approprié ces ressources par la violence à l’époque coloniale, et même par la suite, et ce à des coûts dérisoires. D’autre part, les émissions de gaz à effet de serre du Nord ont été et sont toujours bien plus importantes que celles du Sud. Les peuples du Sud ont commencé à dénoncer cette exploitation de leurs territoires et à défendre une justice environnementale fondée sur l’égalité des droits d’accès et d’usage des ressources naturelles. Tant que les plus riches et/ou puissants accaparent plus de ressources vitales que les autres, ils accumulent une dette écologique envers eux. Ceux-ci peuvent, dès lors, en exiger le “remboursement” sous la forme de réparations. Le chercheur américain Mariano Torras, en cherchant à mettre en parallèle la dette écologique du Nord et la dette financière externe du Sud, a conclu que 41 des 46 pays pauvres concernés deviendraient créditeurs s’ils bénéficiaient d’un remboursement monétaire de la dette écologique du Nord. Eric Toussaint, du CADTM, propose que les réparations que le Nord doit verser aux peuples du Sud soient prélevées sur les classes et entreprises qui portent la responsabilité de cette dette.

No Climate Justice without Debt Justice Global Action For Justice and Debt Cancellation

“Pas de justice climatique sans justice de la dette”. C’est le slogan du mouvement Global Action for Justice and Debt Cancellation. Il dénonce l’accumulation des dettes dans les pays du Sud liées aux conséquences du réchauffement climatique. Les pays les plus touchés par celui-ci ont les coûts d’emprunt les plus élevés car les risques environnementaux qui pèsent sur eux sont plus grands. Par conséquent, ils sont obligés d’emprunter à des taux élevés pour mettre en place des politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. La priorité donnée au paiement de la dette empêche une réponse adéquate aux urgences auxquelles sont confrontées les populations. Ce coût du service de la dette repose principalement sur les femmes et les enfants, ce qui ne fait qu’accroître leur vulnérabilité.

Pour se détacher de ce modèle injuste, il faut que les pays du Nord reconnaissent la dette climatique qu’ils ont accumulée, et octroient des réparations pour les dommages causés par la colonisation et, par la suite, par les dynamiques néocoloniales. Un financement climatique durable, qui ne prend pas la forme d’une dette mais d’un don, doit être mis en place pour restituer en partie la dette écologique. Les dettes financières doivent être annulées pour garantir une reprise verte, inclusive et permettre à tous les pays de relever les défis du changement climatique. Parallèlement, les pays du Nord doivent contribuer à la restauration écologique, mettre fin à l’extractivisme et changer leurs modes de production et de consommation. Global Action for Justice and Debt Cancellation exige une garantie de non-répétition de schèmes aliénants. Parce que justice climatique et justice économique et de la dette sont conditionnées l’une à l’autre, le mouvement appelle les dirigeant·e·s mondiaux·les, les gouvernements et les institutions financières à prendre neuf mesures phares, urgentes et ambitieuses.

Histoire de la dette écologique

La dette écologique, réparer le passé et assurer l’avenir Balises, 22 novembre 2021

On trouve pour la première fois le terme de dette écologique dans le livret Femmes en mouvement de l’écoféministe Eva-Maria Quistorp, en 1985. En 1992, l’ONG Instituto de Ecológia Politica publie le rapport Deuda Ecológica, qui impute la responsabilité du trou dans la couche d’ozone et de ses impacts sur la santé, aux pays riches. La même année, lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, Acción ecológica, les Amis de la Terre ainsi que d’autres ONG signent conjointement le Traité de la dette, qui reconnaît l’existence de la dette écologique des pays du Nord envers ceux du Sud et appelle à l’annulation de la dette financière des derniers. Restaurer la nature serait un compromis entre le concept de “justice restitutive” de Paul Taylor selon lequel l’Homme a une responsabilité envers la nature et doit rembourser intégralement sa dette écologique, et la thèse du sociologue Jack Katz, pour qui redonner à la nature son état originel est impossible et pour qui la dette n’est pas remboursable. Pour les chercheurs de l’université de Gand, la dette écologique est d’un État envers un autre État. Lorsque l’un d’eux s’insère sur le marché mondial pour allouer ses ressources naturelles, il s’expose à des “échanges écologiquement inégaux”, selon Juan Martinez Alier. En effet, les prix des produits exportés par les États « pauvres » ne tiennent pas compte des coûts sociaux et environnementaux liés à leur production. Selon Noémie Candiago, la dette écologique est porteuse d’un cadre économique et juridique « ambivalent » ; les États sont à la fois souverains dans leur gestion des ressources naturelles et soumis aux lois du marché financier. Le concept de dette écologique a émergé d’une contre-culture juridique et écologique contestatrice de l’ordre économique établi ; c’est une “approche critique déconstructiviste”.

Contexte colonial de la dette écologique

Le véritable New Deal avec l’Afrique c’est d’en finir avec son pillage et le néocolonialisme ! CADTM, Survie, 21 mai 2021

Le 18 mai 2021 a eu lieu un sommet sur le financement des économies d’Afrique subsaharienne à Paris, à l’initiative d’Emmanuel Macron. Il y a prôné les mêmes politiques néolibérales imposées aux pays africains depuis plusieurs décennies et responsables de leurs faiblesses structurelles, sous couvert de “solutions novatrices” et d’un “New deal du financement de l’Afrique”. Si ces pays font aujourd’hui face à de grandes difficultés, c’est principalement à cause des mécanismes de domination et d’exploitation mis en place par les grandes puissances comme la France par le passé, et toujours alimentés. On peut citer les accords de coopération imposés par la France à ses anciennes colonies nouvellement indépendantes, mais aussi la dette, l’aide publique au développement et la mise en place contrainte de PPP (partenariats public privé), qui ont pourtant été rejetés en Europe par la Cour Européenne des Comptes car déclarés insoutenables financièrement. Tout cela s’est fait avec la complicité des Institutions Financières Internationales (Fonds Monétaire International (FMI), Banque Mondiale, Organisation Mondiale du Commerce (OMC)). De vraies mesures pour aider les pays africains seraient d’annuler massivement leurs dettes, dont les 14 milliards d’euros de créances que la France possède. Celle-ci doit reconnaître sa dette écologique et coloniale et verser des réparations et/ou compensations. L’aide publique au développement doit être remplacée par une “Contribution de réparation et de solidarité” qui prendra uniquement la forme de dons et non de prêts. Il faut abolir ce système économique qui repose sur des inégalités et des rapports de domination préjudiciables aux droits humains et à la planète.


II - Les impacts de la dette écologique sur les peuples

Droits des peuples autochtones face à l’extractivisme

S’attaquer aux racines des problèmes subis par les peuples autochtones Survie, 31 août 2021

Le mouvement social Survival lutte pour défendre les droits des peuples autochtones. Il dénonce les projets de conservation de la nature défendus par les États occidentaux et les grandes ONG internationales. Aujourd’hui, le modèle dominant de protection de la nature découle de la colonisation. Appelé modèle de “conservation forteresse”, il considère les peuples autochtones comme incapables de prendre soin de leurs propres terres et animaux, voire comme des nuisances. Ce discours justifie l’accaparement des terres, décrites à tort comme “sauvages” et “vides”. Ce “colonialisme vert” entraîne l’expulsion de peuples autochtones de leurs terres ancestrales avec beaucoup de violence. Or, ceux-ci avaient, bien avant l’invention du concept de “protection de la nature”, déjà développé des pratiques efficaces pour maintenir la richesse de leur environnement. La majorité des grandes organisations comme WWF, créées au moment de la décolonisation, ont assuré la continuité du contrôle européen sur ces territoires. En créant des parcs et en y interdisant toute activité humaine, les pays industrialisés font payer le prix de la destruction de la nature à ceux qui en sont le moins responsables, et ce afin d’éviter de changer leurs propres modes de production et de consommation. Par ailleurs, l’objectif de 30% d’aires protégées dans le monde d’ici 2030 accentue les violations des droits des peuples autochtones. 300 millions de personnes risquent de perdre leurs terres et leurs moyens de subsistance. Il faut donc reconnaître de toute urgence les droits des peuples autochtones sur leurs terres.

Conséquences directes du réchauffement climatique sur les populations des Suds

Les énergies « renouvelables » en Tunisie : une transition injuste Observatoire Tunisien de l’Économie, 31 mars 2022

La Tunisie est signataire de l’Accord de Paris et s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre alors qu’elle ne contribue qu’à 0,07% des émissions mondiales. Les politiques climatiques qu’elle a conçues au cours des dernières décennies n’ont pas apporté les changements nécessaires car elles sont restées ancrées dans un cadre capitaliste qui impose la recherche d’une croissance illimitée et qui donne la priorité au profit privé. Cela se traduit ainsi par « une expansion énergétique, plutôt qu’une transition énergétique ». Ce qui est désirable, c’est une véritable démocratie énergétique, se concentrant sur les intérêts des communautés locales pour mettre en place une transition énergétique juste. Mais si cette transition est mal menée et contrôlée par des influences extérieures, elle risque de renforcer la dépendance historique de la Tunisie vis-à-vis des puissances étrangères. Elle peut donc permettre de renforcer le contrôle démocratique sur les ressources naturelles, ou au contraire, exacerber l’accaparement capitaliste des terres aux dépens des communautés locales. Un exemple de ce dernier cas est le village de Borj Salhi, dans le Nord-est de la Tunisie qui n’est pas raccordé au réseau à haute tension et qui subit des coupures intempestives, alors que des éoliennes sont placées à 50 mètres des habitations et provoquent l’érosion des sols, le dépérissement des oliviers et parfois des accidents. Aujourd’hui, les initiatives dans le secteur sont teintées de néocolonialisme. Elles entravent la souveraineté du pays et entretiennent sa dépendance. La récente mise en place de ces politiques néolibérales, préconisées et encouragées par les Institutions Financières Internationales et l’UE ont ouvert la porte à la privatisation du secteur énergétique. La stratégie de partenariats public-privé implique la prévalence de l’investissement privé et d’une vision à court terme, dont l’unique objectif est le profit, sur les droits humains.

Noyés par la mer, cuits par le soleil : la vie dans un bidonville du Sierra-Leone Reporterre, 29 décembre 2022

À Freetown, capitale du Sierra-Leone, une responsable chaleur a été nommée. L’objectif est de mettre en place des politiques d’adaptation au réchauffement climatique pour protéger les populations de ses effets. Les personnes les plus vulnérables à ceux-ci sont notamment les personnes vivant dans les bidonvilles, qui souffrent de la chaleur et sont exposées aux inondations. Ielles n’ont pas l’opportunité de quitter ces lieux. Des arbres sont plantés, des ombrelles métalliques mises en place pour ménager des espaces d’ombre et de fraîcheur et permettre aux travailleur·se·s les plus précaires de pouvoir travailler dans des conditions supportables.


III – Dette financière et dette climatique

Annulation des dettes financières pour compenser les dettes écologiques

Dette et climat : deux faces d’une même crise CNCD 11.11.11, 27 octobre 2021

La crise climatique et la crise des dettes souveraines se renforcent mutuellement. La crise de la dette des pays à faibles revenus s’est accentuée depuis 2013, notamment lors de la pandémie de Covid-19. Des mesures existent déjà, comme l’Initiative de Suspension du Service de la Dette (ISSD) du G20, mais leur action est insignifiante. Quant au “cadre commun”, créé pour compléter l’ISSD afin de restructurer les dettes, il prolonge la domination des créanciers en imposant à tout pays demandeur un accord préalable avec le FMI. Or, plus l’endettement des pays est grand, moins leur budget pour atténuer et s’adapter au changement climatique l’est.

La crise climatique est profondément injuste car ce sont les pays qui en sont le moins responsable qui subissent le plus ses impacts. Les pays les plus riches ayant, par le passé, exploité et s’étant accaparé les ressources naturelles mondiales, ont émis la majorité des émissions de gaz à effet de serre responsables de la crise actuelle. Par conséquent, ils ont une dette climatique envers les pays les plus pauvres. Le financement climat est donc une obligation morale et contractuelle des pays du Nord auprès des pays du Sud. Un mécanisme financier additionnel doit être créé pour assurer le versement de réparations lors de catastrophes climatiques.

Pour réduire leur niveau d’endettement, les pays du Sud ont tendance à exploiter davantage les ressources naturelles qu’abrite leur territoire (déforestation, exploitation de ressources combustibles), mais cela participe directement au réchauffement planétaire et leur est préjudiciable. D’autre part, les catastrophes climatiques obligent les pays à s’endetter davantage pour faire face aux pertes matérielles et économiques, et l’exposition à ces risques peut augmenter les coûts d’emprunt pour ces pays. Cela crée un cercle vicieux. Le financement climat international, qui prend actuellement majoritairement la forme de prêts doit être remplacé par des dons. Annuler la dette peut permettre une allocation immédiate de grands montant à des investissements en faveur de la transition écologique. « La justice climatique ne sera pas possible sans justice économique et de la dette. Et une justice de la dette ne sera pas possible sans justice environnementale et climatique ».

COP et revendications

COP27 : Annuler la dette des pays du Sud, une solution à la crise climatique ? CADTM, 9 novembre 2022 (article relayé par Reporterre)

La COP27 a permis de mettre sur la table la notion de « pertes et dommages » du·e·s au changement climatique qui touchent les pays du Sud. 189 millions de personnes par an seraient touchées par des conditions météorologiques extrêmes dans les pays en développement. Or, ces pays ne contribuent que très peu à ce changement climatique en comparaison aux pays du Nord. Cette différence est considérée comme une dette écologique, face à laquelle les pays du Sud réclament des réparations et compensations financières. Le Fonds vert lancé en 2009 à la suite de la COP de Copenhague qui oblige le versement d’une aide de 100 milliards d’euros par les pays les plus riches aux pays en développement, s’avère insuffisant. Par ailleurs, cette aide a des effets pervers car elle prend la forme de prêts, que les pays du Sud doivent rembourser avec des intérêts. Cela participe à leur endettement. La solution prônée par le CADTM est l’annulation de la dette de ces pays plutôt que le versement de compensations, qui sont souvent conditionnées et entretiennent la dépendance Nord-Sud et le système extractiviste.

Financement climat : estimations

Estimation. Combien faut-il pour financer l’action climatique des pays du Sud ? Courrier International, 8 novembre 2022

Un rapport commandé par la présidence de la COP27 estime que les pays du Sud ont besoin de 2 000 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour financer leur action climatique. Ils serviraient à “réduire les émissions, renforcer la résilience, faire face aux pertes et dommages causés par le changement climatique et restaurer les terres et la nature”. Le rapport propose, en parallèle, un remaniement des banques multilatérales de développement ou une augmentation des prêts à taux faible ou nul des pays développés. Pour Nicholas Stern, économiste ayant participé au rapport : “Les pays riches doivent reconnaître que leur propre intérêt, ainsi que l’idée de justice, les obligent à investir dans la lutte contre les changements climatiques dans les pays émergents et en développement, compte tenu des conséquences désastreuses de leurs émissions passées et actuelles.”


IV – Vers une remise en question du Nord ?

Dette énergétique du Pays Basque

Deuda Energética Vasca 2011 : La energía que consumimos y lo que le debemos al mundo Ecología Política, 12 décembre 2011

En 2007, à Bilbao, était organisée par les habitant·e·s d’Ekologistak Martxan une conférence internationale qui avait pour objectif de freiner le changement climatique, changer le modèle énergétique et reconnaître la dette écologique. Même après des mobilisations sur le long terme, comme celle contre le projet de construction d’une centrale à cycle combiné à Amorebieta, les entreprises parviennent à contourner les obstacles en installant leurs usines à un autre endroit, ou dans un autre pays. Elles font pression sur les gouvernements locaux, régionaux, nationaux pour empêcher les citoyen·ne·s de jouir de leurs droits à la terre, à la santé et à un modèle énergétique alternatif, non mû par l’appât du gain. Les décisions sont toujours imposées aux communautés indigènes et paysannes locales, malgré leur opposition à celles-ci. C’est pour cela qu’il est essentiel de réduire drastiquement voire d’arrêter l’extraction de combustibles fossiles, la dette écologique contractée par les pays développés étant, d’autre part, déjà immense. En 2009, la dette carbone de la Communauté Autonome du Pays basque, très dépendante énergétiquement, a été estimée à 5 348 millions d’euros, soit plus ou moins le montant de la dette extérieure du Cameroun ou du Costa Rica cette année-là, et a continué d’augmenter depuis. Il est donc nécessaire de réfléchir aux impacts de ces industries extractives sur les autres territoires, et de considérer les problèmes sociaux et environnementaux qu’elles provoquent, et qui ne sont ni réparés, ni compensés. Il faut reconnaître la responsabilité du Pays basque dans ceux-ci, mais également dans les investissements réalisés par des entreprises basques dans des projets énergétiques controversés dans des pays du Sud. Les luttes, même si elles s’enracinent dans le local doivent toujours être collectives et revêtir un esprit universel.

Aide climatique danoise

Pollution. Le Danemark est le premier pays riche à payer les pays du Sud pour la crise climatiqueCourrier International, 21 septembre 2022

Le 20 septembre 2022, lors de l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies, le gouvernement danois a annoncé qu’il verserait 100 millions de couronnes (13,5 millions d’euros) d’aide climatique aux “pays vulnérables qui ont subi des pertes et préjudices en raison du changement climatique”. C’est la première fois qu’un pays membre des Nations unies s’engage à compenser les effets des émissions de gaz à effet de serre pour les pays du Sud, alors que les États-Unis continuent de rejeter les appels des défenseur·se·s du climat à compenser ces “pertes et préjudices”. Ils craignent qu’un engagement financier n’implique une responsabilité juridique vis-à-vis du bilan, de plus en plus lourd, du changement climatique. Même si la somme débloquée par le Danemark est dérisoire face aux montants nécessaires pour réparer les dégâts que créent les évènements climatiques extrêmes, elle est “la plus importante à ce jour”.


V – Mouvements sociaux et mobilisations autour de la dette climatique

Justice environnementale et mouvements sociaux en Tunisie Aitec, 11 avril 2017

En Tunisie, des mouvements sociaux dénoncent les injustices socioéconomiques relatives à l’exposition disproportionnée et non égale de certaines populations aux dégradations de la biodiversité, aux privations de ressources naturelles et/ou aux risques environnementaux. Ces mouvements s’opposent aux dynamiques d’accaparement, de surexploitation, de pollution de l’eau, de l’air ou de la terre qui nuisent à la santé des populations et à leurs besoins essentiels. Le secteur des hydrocarbures, particulièrement investi par les multinationales, fait l’objet de contestations locales. L’eau est souvent surexploitée pour la production du phosphate, comme c’est le cas à Gafsa. Cela induit des coupures d’eau potable, destinée aux ménages, régulières et de longue durée, alors que la région connaît déjà des phénomènes de sécheresse et de désertification intenses. Pour autant, les pouvoirs publics continuent d’ériger les impératifs économiques comme prioritaires. En 2010, La Tunisie se rangeait à la 5ème place mondiale des États producteurs de phosphate, au détriment des populations vivant sur les territoires d’extraction, qui ont vu leurs moyens de subsistance (pêche et agriculture) condamnés par la pollution dégagée par cette industrie. D’autre part, en France notamment, beaucoup s’alarment des impacts environnementaux liés à la surconsommation des engrais phosphatés par les systèmes agricoles intensifs, sans pour autant problématiser les enjeux écologiques de l’ensemble de la filière du phosphate, jusqu’en Tunisie. Il est donc important que les mouvements sociaux œuvrent à solidariser les populations victimes entre les lieux de production et de consommation pour combattre les causes systémiques des injustices environnementales. Il existe une dette écologique qui produit des inégalités et réduit les opportunités d’alternatives au Sud. Cette phrase d’André Gorz, pourrait, au prisme de ces réalités, promouvoir une justice écologique commune : « Seul mérite d’être produit ce qui ne privilégie ni n’abaisse personne ».

Organizaciones sociales protestan contra la "deuda ecológica" de Argentina Swiss info, 28 juin 2022

Le 28 juin 2022, dans le cadre des protestations mondiales contre le sommet du G7, un grand nombre d’associations, de syndicats et d’organisations de défense de l’environnement ont manifesté dans le centre de Buenos Aires et dans plusieurs autres villes argentines. Elles dénoncent la “dette écologique” et exigent l’annulation des dettes financières "illégitimes", comme celle que l’Argentine a contractée auprès du FMI. Avec le slogan “La dette est celle des peuples et de la nature”, le mouvement dénonce le “modèle d’oppression, d’extractivisme et de colonialisme financier” promu par des institutions comme le G7, le FMI, la Banque Mondiale ou le club de Paris, qui est responsable d’un système injuste qui empêche la lutte contre la crise climatique dans les pays les moins développés. Les activistes ont rappelé que l’Argentine est de nouveau sous le joug du FMI et a une dette illégitime de plus de 40 milliards de dollars, ce qui fait de ce pays une victime emblématique de ce modèle colonial extractiviste.

[Action] « Debt for climate / Annulons la dette pour le climat ! » Attac France, 27 juin 2022

Le 27 juin 2022, Attac, Extinction Rébellion et Youth for Climate ont participé à une action de désobéissance civile à Paris pour demander au G7 l’annulation des dettes des pays du Global South. Cette action s’inscrit dans la mobilisation mondiale Debt For Climate qui exige de libérer les pays en difficulté de leur dette car celle-ci les empêche de mettre en place une politique environnementale efficace et les oblige à exploiter intensivement leurs ressources fossiles. Il faut mettre fin à ce modèle extractiviste fondé sur les exportations. Le privilège des créanciers sur les droits humains doit être aboli. Le G7, le FMI et la Banque Mondiale ont une responsabilité immense dans ce cercle vicieux de la dette, dans la surexploitation des ressources naturelles et donc dans le réchauffement climatique. La crise de la dette est le résultat de la domination du système financier international par les pays riches. Cumulée, la dette des pays du continent africain atteint les 1 400 milliards de dollars. La dette écologique des pays du Nord envers ceux du Sud doit être impérativement reconnue, tout comme la responsabilité historique des pays du G7 dans le réchauffement climatique. L’annulation de la dette doit s’accompagner d’allocations de financement climat de qualité. L’action climatique internationale doit prendre la forme d’une réforme de la dette, d’une solidarité avec les pays les plus touchés par les catastrophes climatiques, d’une politique écologique décoloniale et d’une reconnaissance de la dette écologique.

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