Les Nations Unies et la réforme radicale du système international

, par  MASSIAH Gus

"Il est difficile de définir à priori ce que seront les conditions de création d’une nouvelle organisation internationale (...). Nous nous proposons de rappeler quelques leçons et propositions à partir des avancées et des limites des NU du point de vue des propositions pour une nouvelle progression du droit international ". Article écrit par Gustave Massiah le 15 septembre 2023.

Les Nations Unies ont été créées dans une situation exceptionnelle, celle de la fin de la 2ème guerre mondiale. La création de l’ONU et son fonctionnement ont dépendu de la situation à la fin de la deuxième guerre mondiale ; elle s’est aussi inspirée de l’expérience de la SDN, de ses limites et de ses échecs. La Société des Nations, créée par le Traité de Versailles en 1919, et dissoute en 1946 a été une des premières organisations intergouvernementales créée pour développer la coopération entre les nations et leur garantir la paix et la sécurité. L’ONU a été créée en 1945 pour développer des relations amicales entre les États, fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes et pour ainsi, par extension, pour défendre les droits de l’homme. Il est difficile de définir à priori ce que seront les conditions de création d’une nouvelle organisation internationale, d’une nouvelle instance du droit international. Elle dépendra, en partie, de la situation lors de sa création. Elle dépendra aussi des leçons qui seront tirées de l’histoire des Nations Unies. Nous nous proposons de rappeler quelques leçons et quelques propositions à partir des avancées et des limites des Nations Unies du point de vue des propositions pour une nouvelle progression du droit international.

Nous devons aussi tenir compte des caractéristiques de la crise structurelle actuelle, même si nous ne sommes pas en mesure d’en définir les issues. Les contradictions sociales, écologiques, politiques, idéologiques sont toujours très présentes, dans chaque pays comme à l’échelle mondiale. La crise, par certains côtés rappelle celle des années 1930. Même si les situations ne se reproduisent jamais pareillement, la référence permet de réfléchir à la conjonction d’une crise économique et sociale, aux guerres, aux alliances entre les droites et les extrêmes droites, aux changements géopolitiques. La première phase de la décolonisation, celle de l’indépendance des Etats est à peu près achevée, à quelques lourdes exceptions près comme celle de la Palestine. La libération des nations et des peuples est à peine commencée. La situation politique internationale est marquée par une forte contradiction : une tendance à la montée des alliances entre les droites et les extrêmes droites qui occupe les scènes politiques et à l’opposé, la radicalité des mouvements sociaux, notamment les mouvements féministes, écologiques, antiracistes, des migrations, de l’antiracisme, des peuples premiers.

 

Dans la situation actuelle, trois types de contradictions prennent une grande importance. La première concerne la question sociale, les rapports entre les classes sociales, avec l’importance considérable des inégalités et des discriminations. La deuxième concerne un élément nouveau et déterminant, celui de la rupture écologique, de la manière de penser la Nature, le climat, la biodiversité. Le troisième concerne la guerre et la démocratie, nationale et internationale. La démocratie interroge les rapports entre le politique et l’idéologique. La démocratie locale intègre les territoires et les différentes formes de municipalisme. La démocratie nationale interroge les rapports entre les peuples, les nations et les Etats. La démocratie mondiale passe par la démocratie internationale qui, dans sa forme existante, se réfère au système des Nations Unies qui doit être radicalement réformé et réinventé.

Un changement de période

Nous vivons un changement de période. Les changements vont concerner toutes les dimensions. La phase sécuritaire du néolibéralisme, depuis 2008, est accentuée par la rupture écologique qui introduit une très grande discontinuité. Le changement écologique est déjà sensible avec le climat et ses conséquences sur la biodiversité. Ses conséquences sur l’évolution du système économique et social ne sont pas encore déterminées, ce qui est sûr c’est qu’elles seront considérables. 

Il est probable que nous vivrons le passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste, comme entre 1914 et 1945, la rupture avec le passage au capitalisme fordiste et keynésien, à partir de 1929, avec le New Deal. L’hypothèse du passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste est très probable ; elle est amorcée avec les nouvelles formes de production, notamment le numérique. Elle est aussi interpellée par les changements dans les classes principales. Nous en avons quelques pistes. Dans la classe dominante, par la contradiction entre la financiarisation de la bourgeoisie et la culture des nouveaux dirigeants, cadres et managers du numérique ; et par la généralisation de l’éducation secondaire dans le monde. Dans la classe ouvrière, par la contradiction entre l’évolution des formes du salariat et le précariat.

L’hypothèse n’est peut-être pas seulement celle d’un changement de phase du capitalisme. Immanuel Wallerstein avance l’hypothèse qu’il s’agit d’une crise structurelle qui met en cause les fondements du mode de production capitaliste1. Il considère que le mode de production capitaliste est épuisé et que dans les trente prochaines années, il ne devrait plus être dominant. Mais, cette crise du capitalisme ne déboucherait pas sur le socialisme. C’est un autre mode de production, inégalitaire mais différent qui lui succéderait. Dans cette hypothèse, le capitalisme ne disparaîtrait pas, mais il ne serait plus le mode de production dominant dans les formations sociales, un peu comme l’aristocratie n’a pas disparu en laissant la première place à la bourgeoisie. De nouvelles classes sociales principales seraient en gestation dans nos sociétés. Le nouveau prolétariat viendrait du précariat et associerait les précaires et certaines formes du salariat. Les nouvelles classes dirigeantes pourraient être issues des techniciens et des cadres comme on peut le voir à travers les mutations sociales entrainées par le numérique. Les bourgeoisies parasitaires et rentières ne seraient plus dominantes et pourraient laisser la place à de nouvelles classes dirigeantes. Le néolibéralisme pourrait être toujours présent, mais ne serait plus complètement dominant. Il a déjà perdu une large part de sa légitimité et il a besoin de durcir ses moyens de répression pour maintenir son pouvoir. 

Quelle que soit l’hypothèse, celle du passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste ou celle du passage à un nouveau mode de production, les changements seront considérables et se traduiront par des années de transition marquées par des bouleversements sociaux et idéologiques. Les conséquences seront considérables au niveau de l’écologie et du changement climatique, au niveau social pour les inégalités et les discriminations, au niveau des guerres et de la nature des régimes politiques, au niveau de la définition même des démocraties.

Cette perspective est confirmée par les bouleversements géopolitiques qui sont en cours. Ils concernent directement les guerres qui accompagnent les bouleversements de l’ordre mondial et notamment la nature des régimes politiques et la démocratie. Les Etats Unis sont toujours dominants économiquement et militairement, mais leur hégémonie est remise en cause. La confrontation principale se déplace vers l’Asie et oppose les Etats Unis et la Chine. L’Europe est marginalisée et la guerre accroît ses divisions. Les Etats Unis explorent une alliance avec l’Australie et le Japon qui inclurait la Grande Bretagne. La Chine renforce les BRICS avec le Brésil et l’Inde et entame son élargissement. De nouvelles puissances renforcent leurs positions régionales. L’inde en Asie du Sud, la Thaïlande et l’Indonésie en Asie du Sud-Est, l’Australie dans le Pacifique, la Turquie et l’Arabie Saoudite au Moyen-Orient, L’Afrique du Sud, le Nigéria et le Kenya en Afrique. 

La souveraineté est une valeur de référence de plus en plus prisée. Elle renforce les identitarismes et le poids des intégrismes dans les religions. Elle se traduit par la montée des autoritarismes2 de différentes natures. Les libertés et la démocratie restent des valeurs de référence, mais en tant que valeurs abstraites. La méfiance par rapport aux régimes politiques est devenue générale. Elle se traduit par une grande défiance par rapport aux institutions internationales.

La situation est caractérisée par la montée en puissance de nouveaux blocs émergents. Ce sont des situations qui se traduisent historiquement par des périodes de tensions, de conflits et aussi de guerres. D’autant que cette évolution est très rapide à l’échelle historique, en quelques dizaines d’années et non en quelques siècles3, comme dans les transitions précédentes. Le Sud global se présente à la fois comme un bloc émergent et comme une diversité des Etats-nations du Sud et de leurs intérêts nationaux. Depuis 2013, la Chine, l’Inde et le Brésil sont collectivement en train de dépasser les pays occidentaux développés en termes de commerce et de production mondiale4. L’affirmation politique d’un Sud Global et la volonté du multilatéralisme coexistent avec le renforcement des grandes régions géoculturelles dans l’ordre mondial. Il y a un besoin urgent de réformes pour faire face à un monde en évolution rapide, pour arriver à une architecture globale. Il faut répondre aux défis principaux : le maintien de la paix ; la réduction des inégalités et des discriminations ; le défi écologique ; la redéfinition de la démocratie5. L’ONU, si elle est réformée, pourrait jouer un rôle essentiel dans la promotion de ces réformes nécessaires.

Les tentatives de marginalisation des Nations Unies

A partir de 1980, il y a eu une tentative sérieuse de marginalisation des Nations Unies. Cette tentative a été menée par les Etats-Unis et la France, giscardienne à ce moment-là, autour de la construction du G7. La construction du G7, c’était une manière de redéfinir un ordre international, une institution d’ordre international. Mais dans les Nations Unies il y a eu une tentative de réponse à cette marginalisation qui n’est pas inintéressante. Ce sont les grandes conférences internationales. A toutes les demandes de réforme venant des pays du Sud, les pays du Nord leurs répondaient : on ne peut pas parce qu’on a une opinion publique. A Cancun, pour la première fois les pays du Sud arrivent en disant, nous avons aussi une opinion publique !

Nous sommes encore dans une situation marquée par le néolibéralisme, même si ce néolibéralisme est en crise. La mondialisation dans sa phase actuelle, néolibérale, marque un point de non-retour dans la crise du système des relations internationales fondée sur les accords internationaux de l’après-guerre. La nouvelle gouvernance économique mondiale mise en place par le G5 de Tokyo dès 1979 instaure les fondements du système international, à savoir : la libre circulation généralisée des capitaux dans un contexte de forts déficits publics, le libre échange dans un espace de mise en concurrence mondial, la prééminence des firmes multinationales, l’ajustement au marché mondial dans le cadre du consensus de Washington piloté par le FMI et la Banque mondiale, la régulation du système monétaire assurée par les banques centrales et particulièrement la Banque Fédérale, la FED, des Etats Unis. La mise en place de l’OMC avec son Organe de Règlement des différends est venue couronner le cadre institutionnel de la mondialisation libérale. Il assure l’élargissement et la primauté du marché mondial et organise la prééminence du droit des affaires sur tous les aspects du droit international.

Les Etats Unis et l’Europe ont tenté de remettre en cause les Nations Unies en mettant en place le G7 et en l’élargissant au G20. Ils ont utilisé leur position au Conseil de Sécurité pour s’opposer à toute évolution du système qui pourrait aller à l’encontre de leurs intérêts. Pour eux, les Nations Unies devraient être réduit à une petite organisation qui ressemblerait à la Banque Mondiale, au Fond Monétaire International, FMI, et à l’Organisation Mondiale du Commerce, OMC, avec une alliance militaire de type Otan en complément.

La remise en question des Nations Unies commence dès 1980 avec la reprise en main qui se construit avec la gestion de la crise de la dette. Elle se prolonge avec la chute du bloc soviétique, liée à la sous-estimation de la démocratie et des libertés. Elle se confirme avec les réactions aux luttes sociales menées contre la précarisation et les politiques de libéralisation. Cette triple contre-offensive se traduit par une hégémonie idéologique qui atteint son apogée avec la chute du mur de Berlin

Dans la période récente, du point de vue géopolitique, la marginalisation des Nations Unies par le G7 et l’OMC, a accompagné l’hégémonie états-unienne et l’unilatéralisme. La guerre s’est imposée. Les zones de conflits ont augmenté et la population qui y vit approche le milliard. La nature des conflits s’élargit. Les guerres liées au contrôle des ressources et des territoires sont toujours d’actualité, la dimension identitaire des conflits s’accentue alliant ségrégation spatiale et purification dite « ethnique ». Les conflits régionaux et intra-étatiques s’éternisent. La dialectique entremêlée des terrorismes de réseaux et des terrorismes d’Etat fait régresser les droits civils et politiques au nom d’un « choc des civilisations » qui justifie la doctrine de la guerre préventive, du « non-droit » et de la torture, la stratégie des guerres du fort au faible et la surprise de découvrir la capacité des faibles à trouver la vulnérabilité des forts.

Les Nations Unies ne sont pas restées inactives devant la stratégie de marginalisation menée par le G7. Elles ont participé au débat sur la conception du développement et lui ont donné une certaine légitimité. En organisant de grandes Conférences multilatérales sur les questions urgentes, les Nations Unies ont évité la référence rituelle au développement durable, le danger d’un consensus douteux qui nierait le caractère contradictoire et conflictuel des modèles et des politiques de développement. Cette conception du développement durable, au-delà des effets de mode, se réfère aux propositions qui ont été discutées dans les forums civils des grandes conférences multilatérales, à Rio (développement et environnement), à Copenhague (développement social), à Vienne (Droits de l’Homme), à Pékin (place des femmes), au Caire (population), à Istanbul (l’habitat et les villes), à Durban (racisme), à Kyoto (climat), à Johannesburg (lutte contre la pauvreté) etc. Ce sont ces propositions qui ont convergé à partir de Seattle. On y retrouve les grandes lignes pour un développement durable qui soit économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié. Ces mobilisations ont permis de préserver la CNUCED et le PNUD ; elles se sont appuyées sur certaines des agences spécialisées telles que l’Organisation Internationale du Travail, OIT, ou l’UNICEF, elles ont renforcé de nouvelles instances, notamment à travers la Commission des Droits de l’Homme.

Les Nations Unies ont joué un rôle déterminant et non prévu dans la décolonisation. Elles ont ensuite dû faire face à la crise de la décolonisation qui a suivi l’indépendance des états. Les pays décolonisés ont subi la crise de la dette et la montée des autoritarismes. 

Les Nations Unies et le système international

Les Nations Unies sont au centre du débat sur le système international6. Elles ne le résument pas à elles seules. Il existe d’autres acteurs et d’autres institutions, notamment les accords directs nés de la diplomatie entre Etats, des alliances militaires, des institutions spécialisées, des internationales politiques, des diasporas, des réseaux transnationaux de toute nature. Mais les Nations Unies occupent une situation stratégique, elles sont les seules à détenir une légitimité qui se réfère à un intérêt collectif international commun, qui se veut une étape vers l’intérêt de l’Humanité ; elles remplissent plus ou moins bien la fonction d’une communauté politique nécessaire au fondement du droit international. C’est la seule institution qui soit à la fois régie par du droit international et productrice de droit international. Et, les Nations Unies se réfèrent à la déclaration des droits de l’Homme et à la Charte des Nations Unies, deux documents fondateurs de l’ordre international, si on ne considère pas que ce dernier puisse être uniquement régi de façon pragmatique par les rapports de force. 

La recherche d’alternatives à la transformation de chacune des sociétés implique une évolution correspondante du système international. Les Nations Unies sont à la croisée des chemins. Elles n’ont pas vraiment démérité, elles n’ont pas du tout convaincu. Elles sont l’objet d’une immense attente, celle d’une institution qui assurerait la régulation d’un système international de plus en plus ressenti comme inique et dangereux, d’une défense possible des droits pour toutes et tous, donc des faibles par rapport aux forts. Elles suscitent une immense déception, celle qui naît de l’illusion du droit par rapport à la réalité du pouvoir, de la velléité de solutions équitables ramenée en fin de compte au rôle d’une chambre d’enregistrement au service des puissances occidentales et des puissantes entreprises internationales.

L’enjeu aujourd’hui est considérable. Il s’agit de la construction d’un système international et d’instances politiques qui permette de répondre à la globalisation des échanges économiques et à la primauté du marché mondial. Il s’agit aussi de répondre à la construction de la paix et au règlement des conflits dans un monde où la guerre est devenue la règle. Il s’agit de répondre à l’unilatéralisme et aux inégalités géopolitiques. Il s’agit aussi de sortir du tête-à-tête entre les Etats et les entreprises en laissant une place à de nouveaux acteurs, notamment le monde associatif et les collectivités locales. 

L’approche par les droits, par l’égalité d’accès aux droits, dessine la perspective d’un contrat social mondial. Le débat international sur les droits est ouvert. Dans chaque société et au niveau mondial, la prise de conscience de l’impasse portée par le modèle dominant de la transformation sociale, celui de l’ajustement structurel, progresse. Une contre tendance chemine dans le mouvement altermondialiste qui fait écho à l’évolution du droit international. Il est possible de réguler l’économie et les échanges à partir du respect des droits ; des droits civils et politiques autant que des droits économiques, sociaux et culturels. Dans chaque mobilisation, cette référence aux droits est de plus en plus centrale. Elle se dégage dans les Forums sociaux qui revendiquent l’égalité d’accès aux droits et la garantie de cet accès par les instances publiques. Elle inclut la pluralité des conceptions en matière de politiques de développement. L’approche par les droits renouvelle la conception du développement et les interrogations sur les rapports entre croissance et développement, croissance et redistribution, développement et environnement, développement et démocratie.

L’ONU a été créée pour assurer la paix. Elle a joué un rôle dans des situations importantes : la guerre froide, la décolonisation, les accords de désarmement nucléaire. Mais, la décolonisation et la fin de la guerre froide n’ont pas amené la paix. 

Comme nous l’avons déjà dit, les zones de conflits augmentent et la population qui y vit approche le milliard. La nature des conflits s’élargit. Les guerres liées au contrôle des ressources et des territoires sont toujours d’actualité, la dimension identitaire des conflits s’accentue alliant ségrégation spatiale et purification dite « ethnique ». Les conflits régionaux et intra-étatiques s’éternisent. La dialectique entremêlée des terrorismes de réseaux et des terrorismes d’Etat fait régresser les droits civils et politiques au nom d’un « choc des civilisations » qui justifie la légitimation du « non-droit » et de la torture, la stratégie des guerres du fort au faible et la surprise de découvrir la capacité des faibles à trouver la vulnérabilité des forts.  

La déception vient de ce que l’ONU, brandie comme référence à chaque occasion, se révèle impuissante à empêcher les conflits et manque de moyens pour faire respecter les droits des peuples. Elle n’a pas de force propre, les Etats ne respectent pas leurs engagements et il n’y a pas de sanctions possibles. Les Etats affirment vouloir défendre les intérêts de l’Humanité mais sont surtout soucieux des leurs. Le Conseil de sécurité est discrédité par sa pratique du « deux poids, deux mesures » dans le règlement des conflits. Ses cinq membres permanents, disposant du droit de veto, sont les principaux exportateurs d’armes et fauteurs de guerre. Quand ils sont d’accord, c’est le droit du plus fort ; quand ils ne le sont pas, c’est la paralysie ! La multiplication des crises internationales et la montée de l’unilatéralisme alimentent la crise du système des Nations Unies.

Pour une réforme radicale des Nations Unies

Pour définir de nouvelles perspectives, il serait utile de renouveler la pensée sur la construction de la paix. Alors que la construction de la guerre est en perpétuel renouvellement, la manière de faire la paix ne se démarque pas des conceptions des 18ème et 19ème siècles. 

Parmi les pistes qui se dégagent pour la refondation d’une pensée du développement7 et du système international correspondant, nous soulignerons trois aspects : le commerce mondial et la monnaie, le droit des peuples à choisir leur modèle de développement, l’articulation entre les niveaux de gouvernance économique. 

Sur la question de la réforme des Nations Unies, certains pensent qu’il faut les défendre et qu’il est difficile de les changer, comme JP Cot ; certains pensent que ce n’est pas réformable comme Maurice Bertrand ; certains pensent qu’une réforme radicale est indispensable, comme Richard Falk et Monique Chemillier- Gendreau. 

Cette refondation comprendrait : une nouvelle constitution du monde autour de la démocratie mondiale ; un contrat social mondial autour d’une alternative à la mondialisation libérale la proposition de réguler les sociétés à partir de l’égal accès aux droits ; la place stratégique du droit international.

Le fait de savoir si les Nations Unies sont réformables ou non ne nous paraît pas déterminant. Les Nations Unies ont montré leur capacité à évoluer. Créées dans le contexte de la guerre froide, elles ont été capables de se saisir de la question de la décolonisation et d’y contribuer. A partir de la Conférence de Bandung en 1955 et celle de La Havane, La Tricontinentale, en 1966, les non-alignés se sont imposés à l’ONU et ont joué un rôle majeur à l’Assemblée Générale, contournant parfois les paralysies du Conseil de Sécurité. Ils ont réussi à faire adopter en 1986, une Déclaration sur le Droit au Développement qui introduisait une réelle perspective mais qui a été marginalisée par le choix imposé en faveur des institutions de Bretton Woods : la BM, le FMI et l’OMC.

La question est de savoir comment définir une réforme radicale et comment lui permettre de s’imposer ? La définition d’une orientation et l’état des lieux permettent assez facilement de définir les réformes nécessaires. Mais ces réformes ne s’imposeront pas d’elles-mêmes. Il y a une question stratégique. Peut-on faire l’hypothèse que le mouvement altermondialiste serait le porteur de cette transformation ? La question des alliances se pose alors pour l’imposer. Une question de méthode aussi, celle qui permet de relier une perspective d’ensemble avec les luttes et les mobilisations pour des réformes particulières. 

Une démarche est possible. Il s’agit de partir des enjeux de la période et des défis qui se posent aux institutions internationales : la mondialisation, les guerres, le droit international ; explorer à partir de l’état des lieux les perspectives nouvelles ; définir les orientations et la ligne directrice d’une refondation, la démocratie mondiale et le contrat social mondial ainsi que la place stratégique du droit international ; formaliser un axe stratégique, celui des mouvements et des luttes pour la démocratisation du système international, avec une double nécessité : inscrire chacune de ces propositions de démocratisation dans la perspective de la démocratie mondiale ; inscrire chacun des fronts pour la démocratisation dans une alliance plus large pour la refonte du système international ; expliciter les propositions de réformes radicales et s’interroger sur les forces sociales et politiques qui peuvent les porter ainsi que sur les alliances possibles. 

Gustave Massiah, 15 septembre 2023

1. Immanuel Wallerstein, avec Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian et Craig Calhoun, Does Capitalism Have a Future ?, Oxford University Press, 2013 

Immanuel Wallerstein, "Préface "Dilemnas of the Global Left" to Gustave Massiah, Strategy for the Alternative to Globalisation, Montréal, New-York, London, Black Rose Books, 2015

2. Kavita Krishnan, la souveraineté est-elle la mantra de l’autoritarisme ?

3. Khalid Malik, La grande transition : le non-alignement et la montée des pays du Sud Other-News The Great Transition : Non-alignment and the Rise of the Global South 

4. PNUD, L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié. Rapport sur le développement humain, 2013

5. Kavita Krishnan, la multipolarité est-elle la mantra de l’autoritarisme ?

6. Maurice Bertrand, L’ONU, coll. Repères, Ed. La Découverte, Paris, 1994

7. Gustave Massiah, La conception du développement dans la réforme des institutions financières internationales, contribution à l’UNESCO, 2002 

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