Q1. Une Convention internationale régule l’utilisation de l’environnement à des fins militaires. D’où vient-elle ?
Durant la guerre du Vietnam, les forces armées Américaines ont tenté, lors de l’opération « Popeye », d’utiliser l’arme météorologique pour faire pleuvoir et inonder la piste Ho Chi Minh (route passant par le Laos et le Cambodge et qui servait au transport des combattants et du matériel). Plus de deux mille trois cents missions pluies ont été menées sur la piste Ho Chi Minh par l’escadron 54 de reconnaissance météo. Après la divulgation de ces pratiques qui ont scandalisé le Congrès à Washington, Américains et Soviétiques se sont accordés pour y mettre un terme, du moins pour adopter un code de bonne conduite. Ils ont déposé à l’assemblée générale de l’ONU un projet de Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, convention surnommée ENMOD, la contraction de « environmental modification »
Q2. Ce texte concerne-t-il les écocides, comme l’usage de l’Agent orange pour détruire la forêt au Vietnam ?
Non, l’Agent orange visait à détruire la forêt, et cela relève de l’écocide, c’est-à-dire de la destruction d’un écosystème par une substance chimique. L’exploitation et le pillage des ressources naturelles n’entre pas non plus dans le cadre de cette Convention.
Q3. Alors, dans quels cas la convention peut-elle s’appliquer ?
Il existe de nombreux exemples, comme le recours aux explosions souterraines pour « libérer » des tensions tectoniques. Cela fait un demi-siècle que des études ont été menées sur le sujet [1].
Les conséquences environnementales d’un conflit nucléaire peuvent également renvoyer à ENMOD même si cela n’est stipulé nulle part dans les textes de la Convention. Dès 1982, des savants tel que Paul Crutzen du Max Plank Institut à Mayence suggèrent que la fumée des feux et des poussières de surface générés par une guerre nucléaire – même partielle – pourrait entrainer un changement climatique global. Le concept d’hiver nucléaire – le spectre des années 1980 – découle de ce scénario. Revenons à ENMOD. Le recours aux ogives nucléaires n’est pas dans le champ de vision de ses architectes. Pas plus d’ailleurs que les agissements de l’armée irakienne en février 1991 au Koweït. Mais ce fut là un évènement révélateur. La presse s’alarma et pour cause : les fumées produites par les incendies de plus de 350 puits de pétrole étaient visibles à 400 km. À l’époque, on s’est rendu compte que 50 000 tonnes de suie étaient relâchées dans l’atmosphère chaque jour. De quoi craindre un mini hiver nucléaire. L’hypothèse a circulé, mais très vite, en dépit de l’obscurité, les experts ont révisé leurs évaluations à la baisse : la quantité de suie en suspension dans la basse atmosphère ne pourrait pas affecter de manière significative le climat global de la Terre. Dans cette affaire, ENMOD a été évoqué y compris par les juristes internationaux. Mais l’Irak n’était pas signataire de la convention…
De fait, quelles armes la convention ENMOD vise-t-elle ? Interdire le recours à des armes non encore utilisées sur les champs de bataille, ou presque, peut paraître dérisoire. Il n’empêche : nul ne peut exclure qu’un belligérant veuille modifier intentionnellement les conditions climatiques sur un théâtre d’opérations. « La météo comme force multiplicatrice : Maîtriser la météo en 2025 » n’est pas un slogan mais le titre d’un rapport publié en 1996 par la US Air Force qui estime que c’est « peut être un champ de bataille d’une importance telle que nous ne pouvons encore le concevoir ». Le rapport disserte sur les meilleurs moyens de contrecarrer les plans de guerre d’un ennemi en déclenchant une tempête, ou une sécheresse, ou encore en supprimant l’approvisionnement en eau potable. D’ailleurs, en 1997, le secrétaire d’État à la défense William Cohen exprime sa crainte de voir des actes de « terrorisme écologique ». Parmi ceux qu’il imagine, ou plutôt qu’il projette, figurent l’altération des climats, les déclenchements à distance de tremblements de terre ou d’éruptions volcaniques. Concrètement, peut-on diriger des ouragans sur une cible ? Le géophysicien qui dirige l’Organisation météorologique mondiale (OMM) à Genève, José Achache, répond par la négative. Il précise toutefois qu’il est « théoriquement possible de les intensifier en augmentant les différentiels thermiques par des transferts de chaleur colossaux à la surface de l’océan et de les diriger en agissant sur les vents dominants à moyenne altitude ».
Q4. Et la foudre ?
« Nous savons créer des précurseurs de la foudre en ionisant l’air dans un ciel d’orage à l’aide d’un laser mobile », explique Jérôme Kasparian, de l’Université de Genève. « Mais il faudrait un laser très puissant pour parvenir à obtenir la foudre. L’attirer ou l’éloigner de sites sensibles est également faisable. »
Q5. À partir de là, d’autres questions viennent à l’esprit : Pourquoi ne pas recourir aux lasers pour découper « sur mesure » un trou dans la couche d’ozone au-dessus du territoire de l’adversaire ? N’est-ce pas en raison du caractère futuriste de certaines armes que des théories conspirationnistes se sont développées ?
Oui, il y a par exemple le projet HAARP, acronyme de High Frequency Active Auroral Research Program. Il est parfois présenté comme une couverture pour un programme ultra secret visant entre autres à manipuler le climat en chauffant l’ionosphère avec des ondes radios, y compris dans l’ouvrage sensationnaliste Les Anges ne jouent pas de cette Haarp (de l’écologiste Nick Begich et de la journaliste Jeane Manning). Quelques militants pensent qu’il s’agit d’une « arme géophysique » d’un type nouveau, capable de bouleverser l’équilibre climatique de la planète entière. Certains habitants de d’Alaska – ils ne sont pas nombreux – accusent Haarp de tous les maux. D’aucuns ont vu des lueurs vertes au-dessus des antennes, d’autres ont vu des caribous marcher à reculons. Au-delà des fantasmes, il est en revanche évident que le Pentagone n’a pas investi 90 millions de dollars dans Haarp pour faire de la figuration ou admirer l’horizon. La recherche va-t-elle servir à interférer sur le climat et les champs magnétiques terrestres ? On suppose que le chauffage ponctuel et modulé de certaines régions de l’ionosphère pourrait servir à émettre des messages radio de fréquence extrêmement basse que peuvent recevoir les sous-marins en plongée.
Q6. Ces histoires de manipulation du climat et de la météo semblent parfois irréelles, proches de la science-fiction. Depuis quand les armées s’y intéressent-elles ?
Dès les années 1930, grâce au concours de l’Institut météorologique de Leningrad, l’Armée Rouge a développé un programme pour tenter de maîtriser la pluviométrie. Dans les années 1960, le président américain Johnson commande une étude sur le contrôle et la concentration du CO2 pour altérer localement le climat. En 1958, le chef de la recherche météorologique au United States Weather Bureau fait allusion dans un article de Science à l’utilisation d’explosifs nucléaires dans le but de réchauffer le climat arctique via la création de nuages glacés réfléchissant les radiations infrarouges. À peu près à la même époque, des scientifiques soviétiques proposent l’injection d’aérosols métalliques dans des orbites pas trop éloignées de la Terre afin de former des anneaux à l’image des anneaux de Saturne. L’objectif est de chauffer et d’illuminer le nord de la Russie, tout en faisant de l’ombre aux régions équatoriales. On n’est pas dans la science-fiction, on en est alors aux balbutiements de ce qui recouvre désormais la géo-ingéniérie. Quant aux Chinois, dès l’an 2000, ils annoncent la mise en place d’un très officiel Bureau de modification du temps, mais il y a tout lieu de croire que le sujet ne leur avait pas échappé auparavant. Les premières recherches remontent à 1958. L’Agence météorologique chinoise (http://www.bjmb.gov.cn) emploie officiellement 37 000 personnes. Parmi elles, plus de 10 000 seraient chargées d’ensemencer les nuages en tirant des fusées ou des obus remplis d’iodure d’argent.
Q7. Cette question est–elle connue des écologistes ?
Les mouvements écologistes, qui devraient être familiarisés avec ces phénomènes, semblent avoir zappé ces prévisions et mises en garde. Pourtant, certains textes fondamentaux y font allusion, y compris la « bible » du développement durable, le rapport Bruntdland de 1987. Dans cet ouvrage intitulé « Notre avenir à Tous », ENMOD n’est pas mentionné parmi les traités internationaux spécifiquement destinés à protéger le patrimoine commun de l’humanité contre la militarisation. Toutefois, au chapitre 11, dans le paragraphe consacré aux « autres armes de destruction massive », on peut lire : « La manipulation délibérée de l’environnement (sous forme d’inondations ou de séismes artificiellement provoqués, par exemple) aurait, si jamais on y avait recours, des conséquences s’étendant bien au-delà des frontières des parties en conflit. »
Q8. Quelle importance peut-on aujourd’hui accorder à cette convention ?
En admettant qu’un État signataire décide de recourir à des projets de géo-ingénierie, la convention pourrait s’avérer inappropriée, à moins que la communauté internationale ou qu’un État partie prenante soit en mesure de démontrer le caractère non pacifiste des recherches menées. Mais la tâche sera rude, d’autant plus que la recherche (comme dans la plupart des conventions) n’est pas prohibée. Même s’il n’y a que 85 États signataires, même si la France snobe le traité, même si les États signataires ne se sont rencontrées que deux fois jusqu’ici, il y a fort à parier qu’ENMOD va revenir sur le devant de la scène. Car la géo-ingénierie et les risques que ses promoteurs apprentis-sorciers sont prêts à prendre, risquent bien de rendre à ENMOD sa pertinence.
Propos recueillis par Julien Leprovost pour Goodplanet.info.