C’est après les assassinats du 13 novembre à Paris et Saint Denis, alors que les djihadistes takfiri [1] multiplient les attentats dans le monde, que la guerre fait rage en Syrie et en Irak, que se tient la conférence COP21. En vertu de l’état d’urgence qui prévaut en France, les autorités, au nom de la sécurité, interdisent les manifestations ou compliquent les initiatives de débat de la société civile prévues à l’occasion de cette COP… Au nom de la sécurité ont réduit au silence la voix de ceux qui sont directement affectés, comme le soulignent Naomi Klein et Jason Box [2], on étouffe les indispensables revendications sur les conditions même de la lutte contre l’insécurité humaine.
Insécurité humaine
Dans son rapport de mars 1987 Notre avenir à tous / Our common future [3] la commission des Nations unies pour l’environnement et le développement présidée, par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland constatait déjà que la notion de sécurité, telle qu’elle était traditionnellement appréhendée, en termes de menaces politiques et militaires envers la sécurité nationale, devait être étendue pour inclure l’impact de plus en plus fort des crises environnementales, au niveau local, national, régional et bien sûr global. Et près de trente ans plus tard on constate à quel point le changement climatique a déjà des conséquences graves, dramatiques dans certaines régions et pour certains systèmes : répétions d’évènements météorologiques extrêmes (sècheresses ou inondations, ouragans, élévations du niveau des océans, etc.). Les effets de ces phénomènes s’ajoutent à ceux d’autres problèmes dues au modèle productiviste dominant de gestion de la planète et aux pratiques économiques actuelles (déforestations, épuisements des sols, accaparement des ressources, pollutions de l’air et de l’eau, destruction de la biodiversité, etc.) ; ils affectent des sociétés entières, contribuent à l’insécurité humaine, aux conflits, aux guerres.
Bien entendu chaque conflit, chaque guerre ont des causes historiques et politiques, économiques et sociales particulières. Mais les effets des crises environnementales sont de puissants facteurs de déstabilisations et de tensions sociales, contribuant à la conflictualité. Depuis près de trente déjà, les principaux états-majors des principales armées, à commencer par le Pentagone, et les think-tanks qui leurs sont liés, considèrent le changement climatique comme un problème majeur, un « multiplicateur de menaces parce qu’il a le potentiel d’exacerber les défis auxquels nous sommes déjà confrontés, depuis les maladies infectieuses jusqu’aux insurrections armées [4] ». Une question de sécurité nationale et mondiale [5].
Une menace, mais aussi une opportunité ? Dès 1978 Paul Virilio constatait : « La catastrophe écologique n’est une calamité terrorisante que pour les civils ; pour les militaires, elle est simulation du chaos et, par conséquent, un sujet d’études et une occasion de grandes manœuvres en terrain libre, au-delà des frontières nationales [6]. » Pour les états-majors, et plus encore pour les complexes militaro-industriels, la menace environnementale et toutes ses conséquences est un horizon (et déjà une actualité) qui permet d’élaborer des stratégies (de projection de forces notamment), initier des programmes d’armements (qui s’applique par définition sur le long terme, une trentaine d’année pour des matériels sophistiqués), sécuriser des budgets futurs au nom notamment de la nécessaire adaptation des infrastructure et des systèmes – ainsi le Pentagone a recensé ses centaines de sites militaires menacés par la montée des océans, ce que l’on fait beaucoup moins pour les installations civiles…
L’empreinte des bottes
La lutte contre le changement climatique serait-elle sécuritaire, voire militarisée, est-elle cette « sécuritarisation » du changement climatique, pour reprendre l’expression de Ben Buckland du Bureau international de la paix en 2007 [7] ? Les armées, les budgets militaires, du moins ceux des grandes puissances (États-Unis en tête, mais aussi Russie, Chine, France, Royaume Uni, Israël, Arabie saoudite, etc.), les industries d’armements, absorbent des moyens financiers considérables. L’allocation de 7% de ces budgets militaires annuels suffiraient à financer le « Fonds Vert » qui peine à réunir les 100 milliards par an prévus par l’ONU pour aider notamment les pays les plus pauvres à faire face au changement climatique [8] !
Très significativement, le principe pollueur payeur ne s’applique pas pour les activités militaires, en situation de paix comme de guerre. L’empreinte carbone des activités miliaires – en l’occurrence l’« empreinte de botte » (bootprint) des armées, n’est pas prise en compte dans les calculs d’émissions de gaz à effet de serre pour les actuelles négociations sur le climat de l’ONU dans le cadre des COP. C’était une demande explicite des États-Unis lors de la négociation du protocole de Kyoto en 1997 (protocole que les parlementaires américains n’ont pas ratifié). Il est vrai que de toutes les entités existantes sur notre belle planète, l’US Army est celle qui émet le plus de gaz à effet de serre ! Mais les autres pays à forte activité militaire ou production d’armes ont évidemment acquiescé.
Résistances, alternatives
Si l’on ne parvient pas à s’accorder pour réduire les émissions de gaz à effets de serre, cela ne va pas seulement provoquer des chocs climatiques, mais aussi une instabilité mondiale, des insurrections et conflits armés. En ce sens, souligne Michael Klare, la COP21 ne devrait pas seulement être considérée comme un sommet climatique, mais comme une conférence de paix – peut être la plus importante convocation pour la paix de l’Histoire [9].
Les sociétés civiles se sont peu emparées des sujets relatifs à l’insécurité humaine que provoquent les crises environnementales et tout particulièrement la menace climatique.
Les questions des stratégies de sécurité et de leurs conséquences, des activités militaires et de leurs effets, sont encore moins débattues. Pourquoi par exemple la France n’a-t-elle pas signée la convention ENMOD de l’ONU interdisant les manipulations environnementales ou hostiles ? Peut-on remettre en cause les systèmes d’armement et débattre des stratégies de défense « soutenable », quels rôles jouent les lobbys militaro-industriels, etc. ?
Guerres et terreurs, déplacement de population et réfugié environnementaux, accroissement des inégalités et injustices climatiques sont à l’ordre du jour, mais on constate aussi les résistances des populations, l’émergence de nouvelles formes de mobilisations, la construction de solutions durables, la réunification des sociétés déchirées.
Bernard Dreano
Assemblée européenne des citoyens (HCA France)
Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale
(CEDETIM/IPAM)