L’altermondialisme ne se résume pas au Forums Sociaux Mondiaux, même si ceux ci y ont occupé une place importante. Le mouvement altermondialiste est un mouvement historique d’émancipation qui prolonge et renouvelle les mouvements historiques précédents, le mouvement ouvrier, le mouvement paysan, la décolonisation, … Il se forme à la fin des années 1970, en réponse à la montée du néolibéralisme qui est une phase de la mondialisation capitaliste.
Au départ, il est caractérisé par les luttes contre la dette et les programmes d’ajustement structurel qui portent une tentative de domination et même de recolonisation. L’ajustement de chaque société au marché mondial des capitaux, à travers les plans d’austérité et les traités de libre échange se heurte aux mouvements sociaux dans les pays du Nord. Dans les années 1990, les mobilisations contre les sommets internationaux sont massives. Les Forums sociaux mondiaux, opposés au Forum économique mondial de Davos prennent le relais après les manifestations de Seattle, contre l’OMC en 1999.
Le processus des forums est interpellé par l’évolution de la situation mondiale. Les chocs financiers de 2008 confirment l’hypothèse de l’épuisement du néolibéralisme. A partir de 2011, les mouvements quasi insurrectionnels d’occupation des places témoignent de la réponse des peuples à la domination de l’oligarchie. A partir de 2013, l’arrogance néolibérale reprend le dessus. Les politiques dominantes, d’austérité et d’ajustement structurel, sont réaffirmées. La déstabilisation, les guerres, les répressions violentes et l’instrumentalisation du terrorisme s’imposent dans toutes les régions. Des courants idéologiques réactionnaires et des populismes d’extrême-droite sont de plus en plus actifs. Les racismes et les nationalismes extrêmes alimentent les manifestations contre les étrangers et les migrants. Ils prennent des formes spécifiques comme le néo-conservatisme libertarien aux Etats-Unis, les extrêmes-droites et les diverses formes de national-socialisme en Europe, l’extrémisme jihadiste armé, les dictatures et les monarchies pétrolières, l’hindouisme extrême, etc. Mais, dans le moyen terme, rien n’est joué.
La situation est marquée par la permanence des contradictions. La crise structurelle articule cinq contradictions majeures : économiques et sociales, avec les inégalités sociales et les discriminations ; écologiques avec la mise en danger de l’écosystème planétaire ; géopolitiques avec les guerres décentralisées et et la montée de nouvelles puissances ; idéologiques avec l’interpellation de la démocratie, les poussées xénophobes et racistes ; politiques avec la corruption née de la fusion du politique et du financier qui nourrit la méfiance par rapport au politique et abolit son autonomie. La droite et l’extrême droite ont mené une bataille pour l’hégémonie culturelle contre les droits et particulièrement contre l’égalité, contre la solidarité, pour les idéologies sécuritaires, sur la disqualification après 1989 des projets progressistes. Elles ont mené les offensives sur le travail par la précarisation généralisée ; contre l’Etat social par la marchandisation et la privatisation et la corruption généralisée des classes politiques ; sur la subordination du numérique à la logique de la financiarisation.
Cette offensive a marqué des points mais ne s’est pas imposée. Les sociétés résistent et restent profondément contradictoires. La violence des courants réactionnaires et conservateurs est d’autant pus fortes qu’ils sentent que le vieux monde se meurt et que les sociétés leur échappent. Des révolutions sont en cours : celle des droits des femmes, celle des droits des peuples, la révolution philosophique de l’écologie, le numérique. Ces révolutions sont inachevées mais elles sont riches d’incertitudes.
L’émergence de pensées radicales qui rompent avec les compromis de la gauche sociale libérale retrouvent droit de cité. Une nouvelle génération s’impose dans l’espace public à travers les mouvements qui ont constitué les forums sociaux mondiaux et se renouvelle à travers les mouvements depuis 2011. Elle construit par ses exigences et son inventivité, une nouvelle culture politique et une nouvelle radicalité. Le défi est celui de la réinvention du politique à partir des mouvements sociaux et d’un nouveau rapport entre individuel et collectif.
Dans le processus des forums sociaux, une démarche stratégique s’est dégagée. Elle propose par rapport à l’urgence un programme de résistance à travers le contrôle de la finance et la socialisation des banques, la taxation des transactions financières, la remise en cause des dérives du libre-échange et du dumping social, fiscal, environnemental et monétaire, la suppression des paradis fiscaux et judiciaires. Ces mesures, largement reconnues, se heurtent au veto des dirigeants du capital financier et de ses affidés politiques. Ce programme propose ensuite un projet alternatif, celui de la transition écologique, sociale, démocratique et géopolitique. Il s’appuie sur des nouveaux concepts (le bien commun, le buen vivir, la prospérité sans croissance, la justice climatique, la relocalisation, la démocratisation radicale de la démocratie, …)
Le débat est ouvert sur l’avenir des forums. Pour certains, il s’agit d’accentuer encore plus un espace horizontal ouvert pour faciliter les rencontres et les convergences ; pour d’autres, il s’agit de renforcer la radicalité des forums en organisant les débats politiques, les prises de décisions et les actions communes. Une autre discussion porte sur l’avenir immédiat du forum ; faudrait-il l’arrêter pour laisser à des formes nouvelles plus d’opportunité pour émerger ou faut-il maintenir un processus à faire évoluer. La prochaine étape du mouvement altermondialiste nécessite une réinvention complète des forums sociaux mondiaux et du processus des forums. Le Forum social mondial de Montréal sera l’occasion de s’y atteler.