[1]
C’est un petit coin de l’immense Amazonie, transformé en zone industrielle géante : fonderie d’aluminium appartenant à un groupe norvégien, usine de transformation d’argile de la multinationale française Imerys, terminaux portuaires où transitent soja, bœufs vivants et matières premières issues de la forêt amazonienne… Le tout rythmé par le ballet quotidien de milliers de semi-remorques. Déjà plusieurs fois déplacées, les communautés locales supportent aussi depuis vingt ans des pollutions à répétition, qui contaminent nappes phréatiques et rivières. Mais elles commencent à organiser la résistance. Basta ! s’est rendu sur place.
« Mon mari est maçon, nous arrivons à vivre de son travail et de la nature. Regardez ma cuisine ! Dans quelle ville pourrais-je avoir une cuisine comme celle-ci, ouverte sur la forêt ? C’est cela notre mode de vie, proche de la forêt », explique Cléia. Le couple et leurs sept enfants habitent ici depuis 25 ans. Ils pensaient pouvoir y vivre modestement mais dignement. La forêt y est généreuse, en açaï, petit fruit réputé pour ses propriétés énergisantes, en cupuaçu, aux vertus anti-oxydantes, en mangues ou en cacaoyer. À côté de la maison, un bassin ombragé abrite un petit élevage de poissons. En contrebas, la rivière Curuperê permet de pêcher la crevette, avant que ses eaux ne se perdent dans la vaste baie de Marajo. Point de confluence d’une multitude de rivières et de fleuves amazoniens, la baie s’ouvre ensuite sur l’Atlantique au large de Belém, capitale de l’État brésilien du Pará.
Environ 1500 familles tentent de vivre de pêche, d’agriculture et d’artisanat, répartis dans plusieurs villages et communautés de la municipalité de Barcarena, qui compte plus de 100 000 habitants. Certaines communautés, descendantes d’esclaves — les Quilombolas — et d’Amérindiens — les descendants d’Amérindiens et d’Européens sont appelés « caboclos » — sont installées là depuis plus d’un siècle et demi, à une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau des hautes tours de béton et de verres de Belém qui, au-delà des cimes des arbres et des méandres des rivières, se détachent à l’horizon.
Une incommodante odeur de soja pourri
C’était sans compter les pollutions à répétition occasionnées par leurs puissants et imposants voisins, invités à s’installer ici depuis que l’État brésilien, à l’époque de la dictature militaire, a décidé de transformer ce petit coin d’Amazonie en district industriel. À quelques centaines de mètres du village de Cléia, sur l’une des larges pistes de terre ocre qui quadrillent le district, une incommodante odeur de soja pourri flotte dans l’air, malgré la forêt omniprésente. Les graines jaunes, souvent OGM, parsèment la piste poussiéreuse qu’empruntent des centaines de camions chargés de l’oléagineuse, dont la culture dévore lentement la forêt amazonienne à un millier de kilomètres plus au sud.
Sous une chaleur écrasante, des ouvriers en bleu de travail sortent d’une usine de fabrication d’engrais chimiques, pour aller manger un morceau. Plus loin, un haut mur surmonté de barbelés et agrémenté d’interdictions de photographier protège les vastes bassins de décantation de l’usine Imerys, une entreprise française qui fabrique du kaolin. Cette sorte d’argile, très prisée pour sa blancheur, est utilisée dans les papiers et cartons, les peintures, le plastique ou les céramiques. Le kaolin est acheminé à Barcarena par deux pipe-lines qui s’enfoncent dans la forêt pendant 180 kilomètres, jusqu’aux mines à ciel ouvert exploitées par la société.
Terrain de jeu pour multinationales française et norvégienne
À l’autre bout de la piste, le terminal maritime de l’entreprise surplombe les eaux profondes de l’immense baie de Marajo. Le terminal d’Imerys y avoisine celui d’Hydro Alunorte. Cette filiale de la société norvégienne Norsk Hydro dispose ici de la plus grande fonderie d’aluminium au monde. D’immenses bassins récupèrent les résidus de bauxite, de soudes et de produits chimiques utilisés dans la production d’alumine, les fameuses « boues rouges ». À quelques encablures, un bâteau attend d’embarquer sa cargaison de centaines de bœufs vivants à destination de l’Afrique du Nord ou du Golfe persique. Plus d’un millier de cargos, tankers, porte-conteneurs ou vraquiers transitent chaque année dans la baie, chargeant et déchargeant 15 millions de tonnes de marchandises. Une grande variété des matières premières extraites de l’Amazonie passent par ici, avant d’alimenter le vaste marché mondial.
« La profondeur des eaux de la baie permet aux gros navires d’y mouiller, et les industries s’alimentent en énergie grâce aux barrages hydro-électriques amazoniens », explique Marcel Hazeu, professeur en sciences environnementales à l’université fédérale du Pará, et fin connaisseur de la zone. Partir de Barcarena pour rallier ensuite l’Amérique du Nord, l’Europe ou l’Asie, via le Canal de Panama, fait gagner une quinzaine de jours de mer comparé aux ports de la région de São Paulo, à plus de 3000 km au Sud. Les entreprises qui s’installent — 90 y sont enregistrées — profitent également de larges exonérations fiscales, comme une réduction de 75 % de l’impôt sur les bénéfices.
Quand les cours d’eau se teintent de blanc
De la multitude de matières premières qui transitent par leur territoire, les habitants n’en supportent que les retombées négatives. Ce n’est pas uniquement l’incessant et bruyant va-et-vient des camions, laissant des pistes défoncées, qui les importunent. Depuis deux décennies, pas moins de 26 accidents industriels et pollutions environnementales se sont produits, le plus souvent des « fuites » provenant des bassins d’Imerys et d’Hydro Alunorte où sont stockés leurs effluents issus de la fabrication de kaolin ou de la transformation de bauxite en aluminium.
Les richesses générées par toutes ces activités n’ont pas franchi les imposants murs et grillages qui protègent les zones industrielles des regards inquisiteurs. Le hameau où vit Cléia n’est pas raccordé à l’électricité, malgré la proximité de la « zone Imerys » et du passage de la ligne à haute-tension qui l’approvisionne en électricité. Pire, depuis une décennie, Cléia ne peut plus tirer l’eau de son puits, « qui sent mauvais ». En juin 2007, la rivière Curuperê, qui borde les bassins d’Imerys avant de desservir plusieurs villages et communautés traditionnelles de pêcheurs, se teinte d’un blanc laiteux. Une fuite importante s’est produite dans le bassin n°3 de l’entreprise, déversant, pendant plus de 24 heures, 300 000 m³ d’effluents dans l’environnement, l’équivalent de 100 piscines olympiques remplies de déchets industriels liquides contaminés.
Pollutions à répétition
En 2011, 2014 et 2016, des pollutions similaires se reproduisent. À chaque fois, les ruisseaux et rivières alentour se colorent de blanc. À une poignée de kilomètres, ce sont les boues rouges, chargées de métaux lourds, de la filiale de l’entreprise norvégienne Norsk Hydro, qui s’écoulent régulièrement hors de ses bassins au gré des « incidents ». Le dernier en date remonte à février 2018. Après de fortes pluies, le groupe norvégien est accusé d’avoir drainé illégalement des effluents contaminés vers la forêt et les rivières avoisinantes.
« Les techniciens d’Imerys qui passent analyser l’eau disent qu’elle n’est plus contaminée. Mais les rapports des études de l’Institut Evandro Chagas montrent le contraire », raconte Cléia. Les analyses de l’eau réalisées par l’institut, lié au ministère de la Santé, sont sans équivoques : « Ces résultats présentent un risque pour la santé de la population et le contact primaire ou l’usage domestique de ces eaux n’est pas recommandé. » [2] Le ministère de la Santé brésilien avait déjà, dès 2003, « recommandé à l’entreprise de réévaluer son système de traitement des effluents » [3].
« La sécurité de nos sites est vérifiée très régulièrement »
« Les incidents auxquels vous faites référence ont été d’une ampleur extrêmement limitée et n’ont pas concerné la structure des digues des bassins », se défend Pierre Daniellou, le directeur développement durable au siège d’Imerys à Paris [4]. Suite à un audit, des « mesures correctrices » ont été prises, des investissements engagés et un nouveau bassin construit en 2015, avec « la capacité à résister à presque tous les aléas », assure-t-il. « La sécurité de nos sites est vérifiée très régulièrement. Nous respectons la réglementation brésilienne et même au-delà. »
Cela n’a pas empêché une nouvelle fuite de se produire, fin octobre 2016, sur le terminal portuaire de l’entreprise cette fois, teintant de blanc les eaux du rivage. Selon Pierre Daniellou, les produits utilisés par Imerys pour le traitement du kaolin sont « relativement inertes ». « L’impact d’une entreprise qui produit de l’argile blanche est très différent de celui d’une entreprise qui fabrique plusieurs millions de tonnes d’alumine. » Une manière de dire que l’activité des voisins norvégiens est bien plus polluante et leurs produits plus toxiques.
« Les poissons meurent »
« Les poissons meurent », se désole Cléia. Les eaux des nappes phréatiques et des rivières locales se sont acidifiées, tuant d’abord mollusques, crustacés et crevettes, puis les poissons, et enfin les anguilles. Selon les études menées depuis, les eaux du petit Curuperê comme de son confluent, le gigantesque Rio Para, sont épisodiquement chargées en métaux lourds, bien au-delà des normes acceptables : jusqu’à 20 fois la norme pour l’aluminium, 87 fois pour le baryum et 100 fois pour le fer à certains endroits.
« L’évacuation des eaux usées [issues des bassins d’Imerys] a radicalement modifié les caractéristiques chimiques des eaux de la rivière Curuperê. Ces impacts environnementaux représentent des risques sanitaires pour la population, qui utilise ces eaux pour les loisirs, leurs déplacements et leur propre approvisionnement », confirme une autre étude menée en 2010 [5]. Des cas de diarrhées, de vomissements ou d’irritations de la peau liés au contact de l’eau sont régulièrement constatés.
« Avec tous les minéraux que l’on a dans notre corps, nous sommes très riches »
En novembre 2007, Imerys est pourtant obligé de mettre en œuvre plusieurs actions de compensation [6]. L’entreprise devait, notamment, « construire des systèmes d’approvisionnement en eau potable » ou participer à leur financement. Onze ans plus tard, l’eau courante demeure un doux rêve pour ces communautés rurales. Imerys leur a certes fait don d’un réservoir de 300 litres, que l’entreprise approvisionne trois fois par semaines par camion. Pour les neuf membres de la famille de Cléia, cela représente 14 litres par personne et par jour, soit dix fois moins qu’une consommation ordinaire. « Le WE, on rationne l’eau parce qu’ils ne viennent pas », confie-t-elle. Le comble pour l’une des régions qui abrite les réserves d’eau douce les plus importantes de la planète ! « Nous avons rempli nos obligations. L’État du Para nous a donné quitus », répond, de Paris, le directeur développement durable de la multinationale.
« Avec tous les minéraux que l’on a dans notre corps, nous sommes très riches », plaisante cyniquement Euniceia Fernandes Rodrigues. L’institutrice de 42 ans habite de l’autre côté du village, coupé en deux par le site de l’entreprise française. Elles sont deux enseignantes pour 86 enfants scolarisés. Dans le cadre de sa politique de « responsabilité sociale et environnementale », Imerys a d’ailleurs « rénové » l’école : les murs ont été repeints par… des bénévoles. Euniceia est l’une des leaders du mouvement « Barcarena libre » qui lutte contre « 37 ans de désastres sociaux et environnementaux ». Leur principale revendication, outre la dépollution, est de pouvoir « rester ici ».
Expropriations et intimidations
Car l’État du Pará cherche à délocaliser ces familles, pour les protéger des pollutions chroniques et, accessoirement, récupérer les terres afin d’étendre la zone industrielle. Plus d’un millier de familles installées autour des zones Imerys et Hydro Alunorte seraient concernées par un projet de relocalisation en cours de négociation. La famille d’Euniceia habitait initialement au bord de la baie, il y a trois décennies. Son village de pêcheurs a déjà été plusieurs fois déplacé, au gré de l’agrandissement de la zone industrielle. Ces déménagements forcés sont assortis de promesses — construction de maisons neuves, accès à la santé et l’éducation, connexion au réseau électrique — qui n’ont jamais vraiment été tenues. Les maisons ont été livrées sans être terminées. « Il n’y avait pas de toilettes. La nouvelle école s’était effondrée aux premières pluies », se souvient l’institutrice.
Malgré tout, la communauté s’installe et cultive des terrains collectifs. Sa famille fait alors l’objet d’intimidations. « La terre n’est pas à vous », leur répète-t-on. « Arrêtez votre résistance, sinon votre famille va se retrouver la bouche ouverte, pleine de fourmis », menace un négociateur d’une entreprise brésilienne du secteur de la métallurgie. Ce type d’avertissement est à prendre au sérieux au Brésil, où 57 défenseurs de l’environnement ont été assassinés en 2017, un record mondial. En mars, le directeur d’une association locale de Barcarena (Associação dos Caboclos, Indígenas e Quilombolas da Amazônia) a été assassiné près de son domicile. Il dénonçait les pollutions générées par la fonderie de Norsk Hydro. La direction du groupe norvégien a dénié tout lien avec ce « meurtre tragique » [7]. Une enquête est en cours.
« Je ne partirai pas »
« Je ne veux pas partir. Mes enfants habitent presque tous ici, j’y ai mes arbres fruitiers », insiste Cléia. D’autant que les autorités locales offrent un prix dérisoire pour acheter maisons et terrains. « Même si l’État du Pará proposait un prix juste pour ma maison, je ne partirai pas. Ce que je souhaite c’est qu’Imerys décontamine les eaux et que nous puissions utiliser de nouveau notre rivière ». Ediane, 33 ans, est voisine de Cléia. Elle élève ses trois enfants dans une modeste bâtisse bleue pastel, posée sur un terrain arboré de 8000 m². La famille vit grâce au salaire du père qui travaille dans un supermarché près du port et d’un peu d’agriculture vivrière—elle moud sa propre farine de manioc.
Ici aussi, l’approvisionnement en eau dépend des livraisons des camions-citernes d’Imerys. « L’eau qu’il nous livre est teintée de rouille, on ne peut pas la boire, on doit acheter de l’eau minérale », critique-t-elle. L’État du Pará lui a proposé 37 000 réais pour sa maison (environ 8500 euros) et 142 réais (32 euros...) pour le terrain. Soit presque rien. « 142 réais, c’est le prix de trois orchidées au supermarché. Cela ne paie même pas toutes les orchidées qui sont sur cet arbre », rigole Mario Santos, venu prendre des nouvelles de la famille.
« Notre paradis a été volé et démantelé pour la construction de la zone industrielle »
Mario Santos est professeur d’histoire. Il habite à proximité de la fonderie d’aluminium de Norsk Hydro, dans une communauté quilombola desservie par la rivière Murucupi, qui prend sa source dans la zone industrielle. La reconnaissance des « quilombolas », rendue possible par la constitution de 1988 adoptée après la fin de la dictature militaire, permet à ces descendants d’esclaves de régulariser, collectivement, les terres sur lesquelles ils vivent. Mais cela au prix d’un long processus administratif et juridique — qui dure entre trois et dix ans — sur la base d’études anthropologiques et historiques.
« C’est un processus lent et conflictuel. S’il aboutit, il instaure une propriété à la fois individuelle et collective des terres, qui ne peuvent être fractionnées et vendues. Il autorise aussi les habitants qui partent à être indemnisés, et oblige l’État fédéral à défendre la communauté », explique Guilherme Mansur, anthropologue et chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), en France. 200 zones quilombolas ont, pour l’instant, été reconnues au Brésil, sur 5000 demandes effectuées.
« Nos ancêtres sont installés sur ces terres depuis le 18ème siècle, raconte Mario. Notre premier titre de propriété date de 1838. Nous avons toujours vécu de la production de la farine de manioc, de la tapioca, ainsi que des fruits de la forêt et de la pêche des poissons et des crevettes issus de la rivière Murucupi. Nous nous sommes toujours baignés dans notre rivière. Nous habitions un paradis. Une grande partie de ce paradis nous a été volé et a été démantelé pour la construction de la zone industrielle. Quel droit ont-ils d’effacer notre histoire pour construire la leur ? »
Hydro Alunorte préocuppée par son image
Que se passe-t-il, justement, sur le front juridique ? La bataille est rude. Elle est menée par le procureur fédéral Ricardo Augusto Negrini, en charge des conflits liés à l’environnement sur toute la zone autour de Belém depuis 2017. C’est lui qui s’occupe des enquêtes et actions pénales concernant Imerys et Hydro Alunorte. Mais les moyens manquent. Le procureur et sa petite équipe—trois employés et deux stagiaires—doivent suivre pas moins de 600 procès en cours, avec leur lot de déforestation ou de pêche illégales. En face, Imerys et Hydro Alunorte sont en mesure de mobiliser des dizaines d’avocats sur les affaires qui les concernent. « Il y a eu une vingtaine d’accidents en une quinzaine d’années. Et il n’y a pas eu d’enquêtes systématiques. C’est difficile, le manque de moyens se fait sentir », soupire le jeune procureur.
À chaque pollution, des négociations s’engagent pour définir avec les entreprises « des actions d’urgence pour renforcer la sécurité des bassins, mettre en œuvre des livraisons d’eau potable et verser des compensations financières pour les communautés », et éviter un procès au résultat incertain. Après la pollution de février 2018, les autorités ont obligé Hydro Alunorte à réduire de moitié la production de leur fonderie. « S’ils ne respectent pas cette injonction, ils encourent des sanctions sévères : plainte pour crime de désobéissance, amendes et indemnisations, précise Ricardo Negrini. Actuellement, les dirigeants norvégiens se préoccupent de leur image internationale, ils sont donc ouverts à la négociation. »
Ces pollutions récurrentes commencent à être médiatisées en Norvège. Les principaux actionnaires de la multinationale, l’État norvégien (34 %) et un fonds de pension public (6 %), pourraient en prendre ombrage alors que le groupe projette la construction d’une nouvelle fonderie d’aluminium à Barcarena, en partenariat avec une holding des Émirats arabes unis.
« L’usine est entourée de communautés qui, finalement, profitent assez peu de notre activité »
Côté Imerys, des enquêtes sont en cours. L’entreprise spécialisée dans l’extraction et la transformation de minéraux, dont le siège est à Paris, est détenue majoritairement par le Groupe Bruxelles Lambert, une holding belge qui réunit deux grandes fortunes, Albert Frère (Belgique) et la famille Desmarais (Canada), peu réputées pour leurs engagements environnementaux ou sociaux [8]. Avec un chiffre d’affaires de 4,6 milliards d’euros et des bénéfices de 368 millions d’euros en 2017, l’entreprise de 18 300 salariés aurait pourtant les moyens d’une politique de responsabilité environnementale et sociale digne de ce nom.
En guise de compensations pour les communautés locales, l’entreprise fait valoir son projet de « Casa Imerys ». Le modeste bâtiment, desservi par une piste boueuse, propose diverses formations : « Des classes de lecture, des activités sportives ou ménagères, comme la cuisine ou le jardinage, des soins dentaires pour les enfants, illustre Pierre Daniellou, le directeur développement durable d’Imerys. L’usine de Barcarena est entourée de communautés qui, finalement, profitent assez peu de notre activité. L’objectif est donc d’apporter de l’employabilité à ces populations. Comme donner la possibilité aux jeunes de passer leur permis pour, par exemple, travailler comme chauffeurs de camions pour l’exploitation minière. » Pour Euniceia Fernandes Rodrigues et Mario Santos, cette compensation demeure anecdotique au vu des dégradations générées par l’entreprise.
Transformer l’Amazonie en « chantier de construction »...
La mobilisation des communautés et du mouvement « Barcarena libre » pourrait changer le rapport de force alors que de nouveaux projets risquent d’aggraver la situation. Un terrain forestier et un étang ont été privatisés par l’État du Pará en vue de l’installation future du principal groupe agro-alimentaire algérien Cevital. Un projet de voie ferrée reliant la zone portuaire de Barcarena à l’État voisin du Maranhão est également à l’étude [9]. Le principal candidat de droite à la présidentielle d’octobre, Geraldo Alckmin (du parti PSDB), envisage également de transformer certaines régions forestières amazoniennes en « chantier de construction » [10].
« La mobilisation de la population est importante, ainsi que la médiatisation car les politiques feront alors plus attention », reconnaît le procureur Ricardo Augusto Negrini. Le maire de Barcarena, Antônio Carlos Vilaça (du Parti social-chrétien, droite) a pour l’instant préféré défendre la multinationale norvégienne suite à la pollution de février plutôt que ses concitoyens. « Si une mobilisation comme celle-ci s’était produite il y a dix ans, peut-être que tous les accidents suivants n’auraient pas eu lieu. » Si même un procureur fédéral ne fait pas confiance aux entreprises et aux représentants politiques pour agir... La mobilisation en cours, et la médiatisation de ces pollutions, permettront peut-être d’éviter la complète dévastation de ce coin d’Amazonie.