La destitution de Dilma Roussef de la présidence de la République du Brésil représente, pour la grande majorité des mouvements sociaux et des organisations de la société civile de ce pays, une profonde atteinte au régime démocratique en place depuis 1985 : un véritable coup d´Etat, dénoncé inlassablement au cours des derniers mois dans le monde entier par les plus divers acteurs. « Fora Temer ! » (Dehors Temer, du nom du nouveau président) est devenu le slogan le plus prononcé au Brésil et a largement dépassé les frontières.
A la différence des dictatures surgies dans les années 60 et 70 en Amérique Latine, il s´agit là d´une nouvelle génération de coups d´Etat, qui naissent d´une alliance entre les forces conservatrices des pouvoirs législatif et judiciaire, les élites économiques et financières et les grands médias commerciaux. Sur la base de mécanismes constitutionnels, un procès a été "forgé" pour la présidente en exercice, qui a été accusée de crime de responsabilité dans le maquillage des comptes de l´État, jugée et finalement destituée par le Sénat, le 31 août dernier, sans que pour autant aucun crime n´ait pu être prouvé. Comme arguments, ses accusateurs - dont beaucoup sont impliquésdans des affaires de corruption - ont invoqué la prise en compte de « l´ensemble de l´œuvre » de Dilma, la responsabilité de la crise économique et politique, ou encore, comme lors de la déclaration finale de l´avocate d´accusation, la main de Dieu comme principal instigateur de ce procès de destitution.
Le gouvernement Dilma, difficilement reélu en 2014, a été impopulaire et n´a pas ou peu répondu aux attentes des mouvements sociaux. De très nombreuses organisations de la société civile ont été très critiques sur certaines politiques mises en œuvre, comme dans le cas de la démarcation des terres indigènes, de la réforme agraire ou de la politique environnementale, pour n´en citer que quelques-unes. Ces mêmes organisations s´opposent cependant à ce renversement politiquequi place au pouvoir un gouvernement non élu par les urnes et avec un projet néolibéral dont la majeure partie des Brésiliens et des Brésiliennes ne veut pas : les mesures d´austérité qui se dessinent pour faire face à la crise remettent directement en question les récentes conquêtes sociales, notamment dans le domaine du travail, de l´éducation, de la santé et du logement. Pour la population, c´est la chronique annoncée d´une détérioration des droits humains et d´une augmentation des inégalités.
Après le Honduras en 2009, et le Paraguay en 2012, le cas du Brésil est emblématique : le Parti des Travailleurs, au pouvoir depuis 13 ans, symbolisait le renouvellement de la gauche sur le continent, avec ses avancées et ses ambigüités.Mais il a désormais succombé face aux forces conservatrices. Ce triste épisode dans le plus grand pays d´Amérique Latine pourrait entraîner des situations similaires dans la région. Mais surtout, il interroge les mouvements progressistes et de façon générale les gauches du monde entier sur leurs capacités à affronter les terribles menaces qui pèsent sur les systèmes démocratiques. Face à un contexte planétaire de crise généraliséeaux multiples dimensions (environnementale, économique et financière, politique, sociale, alimentaire, énergétique...), le capitalisme trouve les moyens de se réinventer, au prix d´une restriction des libertés individuelles et de la criminalisation des organisations de la société civile. Au Brésil, la répression des contestaires du coup d´état a déjà commencé.
C´est pourquoi les organisations brésiliennes membres du Conseil International du Forum Social Mondial, réalisé du 9 au 14 août à Montréal, ont lancé à cette occasion une motion : ils invitent la société civile dans le monde entier à manifester sa solidarité, à se mobiliser pour résister et à demander aux autorités de leurs pays de ne pas reconnaître les gouvernements illégitimes en Amérique Latine.